Tchad – Israël : une relation tumultueuse depuis les indépendances

A travers un communiqué laconique du porte-parole du ministère des affaires étrangères, le gouvernement tchadien rappelle son chargé d’affaires en Israël, en réponse aux récents événements en Palestine. Ce qui en fait le premier pays à prendre une telle mesure depuis le récent conflit dans la région. Rétablies par le maréchal du Tchad, Idriss Deby Itno, et entériné par le président de la Transition, ce nouvel épisode illustre les relations tumultueuses entre les deux pays qui ont cours depuis les indépendances.

Tombalbaye et la première rupture

Dès 1960, l’état israélien reconnait le Tchad lorsque ce dernier obtient son indépendance. Quelques mois plus tard, des relations diplomatiques sont même établies, ce qui conduira à l’ouverture de l’ambassade d’Israël à Fort Lamy en 1962.

Cette coopération avec le Tchad et plusieurs nations africaines se fera aussi au niveau militaire. En effet, le régime de Tombalbaye sollicitait la coopération militaire avec Israël pour répondre aux rebellions armées et autres soulèvements au centre et au nord du Tchad.

Cet état de fait emmènera même en 1965, le président tchadien François Tombalbaye a effectué une visite officielle en Israël.

Mais déjà au sein de l’opinion nationale précisément tchadienne, naissait un sentiment pro- palestinien qui verra ce voyage être fustigé par l’opposition tchadienne. Ahmed Koulamallah, Leader du MSA et ancien premier ministre condamnera ce voyage en ces termes : « je m’élève personnellement, au nom du MSA et des populations musulmanes, tchadiennes contre ce voyage inutile et coûteux (…). La mission en Israël ressemble fort à un défi et je me demande si le vrai but de ce voyage ne fut pas de créer un malaise et un mécontentement religieux dans la fraction la plus importante de la population tchadienne. »

 Malgré tout, les relations entre les deux pays resteront au beau fixe jusqu’en 1972 et une cause palestinienne de plus en plus audible en Afrique. C’est ainsi que par un effet domino qui se propagera partout en Afrique, le président tchadien, dans un discours radiodiffusé le mardi 28 novembre, déclare rompre ses relations avec Israël en ces termes : « la présence d’Israël au Tchad est désormais de nature à mettre en cause non seulement la sécurité des peuples africains frères mais, par voie de conséquence, celle du Tchad lui-même. »

Si la presse internationale met cette décision sur le compte de pressions des pays arabes, il faut surtout y voir aussi une volonté du leader du PPT de contrer l’influence grandissante du Frolinat et, l’écho qui se fait chez les Tchadiens musulmans, du message qu’il porte.  Ainsi, face au soutien actif dont bénéficie le Front de Libération National de la part de certains pays, notamment la Libye, le Président Tombalbaye, pour couper l’herbe sous le pied de ce mouvement, change de politique vis-à-vis de ces pays. Il rétablit les relations diplomatiques avec la Libye (avril 1972), rompt les relations diplomatiques avec Israël et fait une tournée dans plusieurs capitales arabes pour leur expliquer qu’il n’est pas contre les musulmans du Tchad

Hissein Habré opportuniste face à la haine anti-Kadhafi occidentale.

Les relations officielles une fois coupés avec l’entité sioniste n’en sont pas moins présentes d’une manière ou d’une autre au gré des intérêts politiques de l’heure ; après la mort du premier président tchadien, c’est le leader du Frolinat, Hissein Habré qui jettera son dévolu sur l’État hébreux.  Celui-ci, jouant sur la fibre anti-Kadhafi occidentale, essayera de rentrer en contact avec Israël. La rébellion du Frolinat manquait à l’époque de partenaires et souffrait énormément du manque de matériels de qualité. Hissein Habré faisait donc fi des sentiments dans son objectif de contrer l’influence libyenne au Tchad.

Dans un ouvrage dédié à sa vie en captivité dans les montagnes du Tibesti, le mari de la célèbre otage, Françoise Claustre, racontait la volonté du futur président du Tchad de s’allier à Israël. « Il souhaite que je prenne contact avec les services de l’ambassade d’Israël à Paris afin qu’ils fassent savoir à leur gouvernement qu’il existe au sud de la Libye un mouvement insurrectionnel hostile à Kadhafi qui ne répugnerait pas à recevoir son aide », raconte l’époux de l’ethnologue, prise en otage par les hommes de Habré, dans L’Affaire Claustre (Karthala, 1990).

Plus tard, les volontés de coopération de HH se concrétiseront à travers une rencontre avec Ariel Sharon, alors ministre de la Défense, au Zaïre, à l’initiative de Mobutu. Le même Ariel Sharon se rendra au Tchad en janvier 1983. Il fera plus tard livrer une batterie de canons antiaériens aux Forces armées nationales du Tchad. Et des agents de la DDS seront formés en Israël.

Devenu entretemps Président du Tchad, Hissein Habré ne se décidera jamais à franchir le rubicond en réofficialisant les relations du Tchad avec l’État juif. Fervent Anticolonialiste, idéologue formé à l’école révolutionnaires des Ho Shin Minh et Amilcar Cabral, une petite part de l’ancien révolutionnaire a sans doute résisté au calcul politique et à l’exercice du pouvoir.

En 1978, encore au front et paré du manteau du guérillero, ne déclarait-il pas : « si nous ne faisons rien pour repousser hors de nos frontières la Libye, le Tchad sera demain ce qu’est aujourd’hui la Palestine » ?

Idriss Deby et le temps de certitudes

Arrivé le temps de « l’État retrouvé » et des certitudes d’un pouvoir trentenaire, Idriss Deby voit au-delà des solidarités tiersmondistes et se décide à franchir le pas à travers une visite qualifiée d’« historique » par son hôte, Benyamin Netanyahou.

Officiellement, le Tchad et Israël s’en tiennent à un renforcement de leur coopération dans le domaine de la sécurité, qui existe depuis une dizaine d’années. D’après le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, les deux pays ont un objectif commun : la lutte contre le terrorisme. Surtout que le Tchad était sur plusieurs fronts, contre Boko Haram et au Mali notamment.

Il y a aussi les technologies israéliennes permettant le développement d’une agriculture en milieu désertique. Climat que le Tchad a en partage avec l’état hébreux.

Comme d’autre avant lui, le Président Idriss Deby savait revenir à l’essentiel en toute circonstance, puisqu’il n’oubliera pas d’avoir un mot pour le peuple palestinien de plus en plus oublié face à la Realpolitik. « La reprise des relations diplomatiques avec votre pays, que je désire, ne nous fait pas oublier la question palestinienne », avertissait Idriss Deby lors d’une déclaration aux côtés de M. Netanyahou. Tout en réitérant l’attachement « profond » de son pays au processus de paix.

Mais les jeux étaient faits, « Bibi », n’écoutait déjà plus, insistant dès sa prise de parole sur les « liens florissants » entre l’État hébreu et les pays africains, depuis trois ans.  La « doctrine de la périphérie » qu’avait lancée David Ben Gourion était en marche et de plus en plus de pays africains se faisaient prendre dans les mailles du filet.

Les relations était déjà retrouvé, avec en point d’orgue la visite de Netanyahu à N’Djamena.

Entre temps le maréchal du Tchad décède, Mahamat Idriss Deby entérine les relations avec lui aussi une visite en Israël, avant le nouvel rebondissement de ce Week-end.

Aux vues des relations tumultueuses entre les 2 pays, la partie semble loin d’être finie.

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