Paris-N’Djaména : le temps de l’apaisement ?

Ph DR

Selon nos confrères de Jeune Afrique, c’est le chef de l’État en personne, Mahamat Idriss Deby Itno, qui représentera le Tchad au prochain sommet de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) qui se tiendra en France les 4 et 5 octobre 2024 à Villers-Cotterêts, près de Paris. Cette précision relative à la représentation protocolaire du Tchad à ce sommet international mérite d’autant plus d’être soulignée que, depuis la prestation de serment du président tchadien le 23 mai dernier, consécutive à son élection à la présidence de la République, le ciel des relations franco-tchadiennes, de manière aussi inexpliquée que soudaine, est assombri par de gros nuages sombres.

À intervalles réguliers et avec une cadence qui n’a pas manqué de surprendre les observateurs avertis des relations franco-tchadiennes, voire franco-africaines, le président Mahamat Idriss Deby Itno et son proche entourage ont été la cible de tirs médiatiques groupés d’une certaine presse étrangère qui excipait du droit inaliénable à la liberté d’informer. Soit !

Diversification des partenariats

Au demeurant, il n’échappera à personne que cet intérêt soudain pour les institutions du Tchad et ceux qui les incarnent s’exprimait après une volonté clairement affirmée du président Mahamat Idriss Deby Itno de diversifier les partenariats de son pays au monde à un moment où le multilatéralisme est devenu la règle.

Or l’Organisation internationale de la francophonie est justement née de cette volonté, par ailleurs portée par des chefs d’État africains, de faire des liens culturels entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique un contrepoids à la bipolarisation de la scène diplomatique internationale durant la Guerre froide, voire à son américanisation fulgurante après l’effondrement du bloc communiste et la chute du Mur de Berlin.

C’est la raison pour laquelle, si l’OIF, dans son agenda géostratégique initial, a semblé accorder une importance prépondérante à la promotion de la langue française, elle s’est tout autant consacrée depuis ses jeunes années à la défense des intérêts stratégiques de l’ensemble de ses membres. Au fil des années, elle a admis en son sein des États qui pourtant appartiennent à des organisations internationales ou des communautés d’intérêt aussi diverses que le Commonwealth ou la Ligue arabe, sans préjudice pour leur souveraineté dans la communauté des nations.

Défis titanesques

Comment peut-il en être autrement pour le Tchad? À l’instar de la quasi-totalité des États africains, le pays de Toumaï est confronté à des défis titanesques pour assurer la stabilité de ses institutions, sa cohésion nationale et ses impératifs de développement. La diversification internationale des pôles de puissance, au-delà de la saine émulation qu’elle engendre entre les grandes puissances ou les puissances émergentes, permet aux États en quête de financements internationaux ou de sécurisation de leurs frontières de se prémunir des puissances de déstabilisation pour lesquelles les États fragiles sont devenus des proies faciles.

Cette réalité géostratégique est encore plus patente dans le cas spécifique du Tchad dont l’environnement régional, fortement crisogène, est au cœur des préoccupations africaines de paix et de sécurité. Or le Tchad se trouve dans une configuration similaire à celle de la République démocratique du Congo, frontalier de 9 pays (République du Congo, République Centrafricaine, Soudan du Sud, Ouganda, Rwanda, Burundi, Tanzanie, Zambie, Angola) et confronté à de graves menaces de déstabilisation. Il est cependant louable de relever que le Tchad ponctionne des sommes mirobolantes sur son budget national pour sécuriser ses frontières.

Réalisme diplomatique

Il n’est d’ailleurs pas superflu de relever qu’une réflexion sur le multilatéralisme est inscrite à l’ordre du jour des débats du prochain sommet de l’Organisation internationale de la francophonie à Paris. C’est dire que la volonté de diversification par le Tchad de ses partenariats internationaux ne s’inscrit pas dans une démarche de défiance envers la France. Elle répond plutôt dans un principe de réalisme diplomatique contemporain qui a pour boussole le principe d’interdépendance.

Lorsque le secrétaire d’État américain Henry Kissinger (décédé le 29 novembre 2023 dans sa maison de Kent, dans le Connecticut, à l’âge de 100 ans) sous la présidence de Richard Nixon, entreprend de rapprocher Pékin et Washington, c’est parce que les analyses les plus pertinentes des futurologues de la diplomatie américaine portent à croire que la Chine sera l’une des puissances mondiales incontournables du XXIe siècle.

Il est cependant indéniable de relever que la France et le Tchad entretiennent des relations historiques que les contingences de l’histoire ne sauraient effacer d’un trait de plume ou du fait d’une banale secousse diplomatique. Si la France a été au cœur de grandes mutations politiques au Tchad, il est non moins vrai que sa présence militaire et stratégique, forcément dissuasive, n’a pas été vaine à des moments cruciaux de la vie politique du Tchad.

Dans la même dynamique, le Tchad demeure, dans la zone sahélienne, le seul espace de contingentement et de projection des forces militaires françaises face à la menace terroriste. Ce partenariat stratégique n’est pas anodin et s’inscrit dans l’intérêt bien compris, pas seulement du Tchad, mais de l’Afrique et de l’Europe.

Il n’est pas moins vrai que le Tchad fut le premier à répondre à l’appel du général de Gaulle lorsque vint le moment crucial et historique pour Les Forces de La France Libre de recourir à la mobilisation des peuples de l’Afrique-Équatoriale française (AEF) et de l’Afrique-Occidentale française (AOF). Le gouverneur Félix Eboué choisit alors le Tchad comme tremplin pour répondre à l’appel du 18 juin 1940 du général de Gaulle. C’est d’ailleurs ce fait d’armes historique qui explique l’étonnement de nombre d’observateurs quant à l’absence de représentants du pays de Toumaï aux récentes cérémonies de commémoration du Débarquement en Provence des troupes africaines, le 15 août dernier à Boulouris (en France).

Le Tchad et la France, le Tchad et l’Europe, l’Afrique et l’Europe se doivent de promouvoir une vision commune de leurs intérêts géostratégiques que leur commandent leur proximité géographique et les menaces communes. En revanche, les liens historiques et stratégiques entre le Tchad et la France ne sauraient faire entorse à des malentendus de circonstance qui ne sont par ailleurs pas surprenants entre des partenaires diplomatiques de longue date.C’est dans cette dynamique d’esprit que le chef de l’État, Mahamat Idriss Deby Itno, se rend au sommet de Paris.

Éric Topona Mocnga, journaliste au service Afrique-Francophone de la Deutsche Welle à Bonn (Allemagne).

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