La dernière sortie médiatique de Vladimir Poutine, le 19 décembre 2024 (conférence de presse), était bien différente de celles auxquelles le maître du Kremlin a habitué l’opinion publique nationale et internationale.
D’ordinaire, Vladimir Poutine est peu disert pour des annonces chargées d’une dramaturgie terrifiante. Il s’exprime le plus souvent par des propos elliptiques, semant le doute, l’incertitude, l’embarras, mais surtout la peur dans l’esprit de ses adversaires ou de ses ennemis.
Lorsque, le 22 novembre 2024, il présente devant un public conquis et face au monde entier le nouveau missile russe « Orechnik », il ne dissimule pas sa fierté, et ce, d’autant plus qu’il tient à faire savoir que ce missile sans égal et d’une efficacité sans pareille a été développé durant sa présidence : « L’Orechnik représente une innovation majeure, développée entièrement dans l’ère post-soviétique ». Il a reconnu par ailleurs l’avoir testé en Ukraine et a menacé de lancer ce missile balistique sur la capitale ukrainienne. Par ailleurs, pour donner du crédit à son annonce, il a mis au défi les pays de l’OTAN de convenir avec la Russie d’un test de frappe dans l’un de ses États membres, dans le cadre d’un « duel technologique ». On se croirait revenu à l’époque de la Guerre froide avec le positionnement des missiles russes à Cuba, dans la baie des Cochons, face à la Floride. Sauf qu’en 1963 il ne s’agissait pas seulement d’un discours, mais d’une réalité vérifiable de tous.
Stratégie de communication constante
Cet épisode du missile Orechnik s’inscrit dans le cadre de la stratégie de communication constante de Vladimir Poutine depuis son arrivée au Kremlin en 2000. À savoir : instiller dans les esprits le mythe de sa puissance, voire de son invincibilité. Il en joue face à ses adversaires politiques de l’intérieur, réels ou potentiels, mais aussi en direction de ses adversaires sur la scène internationale. Il s’agit en réalité d’une stratégie communicationnelle de dissuasion qui ne s’assume pas comme telle, mais qui n’est pas sans effets dans les esprits.
Or, dans le conflit russo-ukrainien en cours, les forces militaires et paramilitaires russes se sont rendues à l’évidence que ce qui leur était présenté au départ comme une « opération militaire spéciale » n’est pas une balade de santé. S’il faut s’en tenir aux chiffres fournis par les Ukrainiens, la Russie a perdu 106 000 soldats en 2022, 253 270 hommes en 2023 et 360 010 en 2024. Deux indices donnent du crédit à ces chiffres ukrainiens, tout au moins dans leur globalité. Il s’agit du peu d’enthousiasme que suscitent les campagnes de conscription ultérieures en Russie, après celle de 2022 qui avait mobilisé plus de 300 000 personnes. Par ailleurs, le recours aux soldats nord-coréens est la preuve que la mobilisation des Russes pour le front n’est pas aussi aisée qu’au début du conflit russo-ukrainien.
Le coup de sang de Prigogine
Les pertes en vies humaines et les difficultés de Poutine ne sont pas les seules qu’il aura connues en 2024 et que l’on peut évoquer au rang de ses échecs.
Le monde entier a encore en mémoire, et pour longtemps, le coup de sang du patron de Wagner, Evgueni Prigogine, tournant en ridicule et en mondovision le ministre russe de la Défense, Choigou, et d’autres hauts gradés qu’il accusait d’incompétence. Allant plus loin dans l’expression de son courroux, le patron de Wagner prit alors la décision de marcher sur Moscou. Plusieurs observateurs internationaux incrédules, y compris les citoyens russes, crurent assister à une mise en scène élaborée d’un commun accord entre Poutine et Prigogine pour donner aux forces ukrainiennes et à leurs alliés la fausse impression d’un affaiblissement du pouvoir central à Moscou, pour mieux passer à l’offensive sur le front de guerre. Mais le monde entier se rendit à l’évidence que la dénonciation publique de l’incurie de l’armée russe ne relevait pas du faux-semblant lorsque, quelques mois plus tard, Evgueni Prigogine disparut tragiquement dans un crash d’avion que le Kremlin présenta comme un accident.
Mais le mal était déjà fait. Un coup dur venait d’être porté à l’autorité de Poutine comme nul dans son entourage n’avait osé le faire depuis son accession à la magistrature suprême. En outre, preuve était faite que le pouvoir central en Russie n’était pas ce bloc compact sous l’autorité incontestable et jamais contestée de Vladimir Poutine. Le départ de Choigou du département de la défense peu de temps après la disparition de Prigogine, pour occuper désormais le fauteuil de chef du Conseil national de sécurité, est la preuve que les dénonciations de Prigogine n’étaient pas sans fondement.
Toutefois, c’est sur le terrain des opérations en Afrique de l’Ouest, dans la zone sahélienne, que le mythe de l’invincibilité de la Russie a été le plus écorné. Les paramilitaires russes de Wagner – c’est notoirement connu – sont le visage de la présence russe en Afrique et la traduction de sa présence militaire de plus en plus affirmée sur le continent. Mais Wagner, ce n’est pas seulement une présence militaire, c’est aussi des investissements diversifiés et très lucratifs dans les économies de ces pays africains, comme le soulignent les chercheurs Julia Stanyard, Thierry Vircoulon et Julian Rademeyer du Global Initiative Against Transnational Organized Crime, dans une étude de février 2023 intitulée La zone grise : L’engagement militaire, mercenaire et criminel de la Russie en Afrique : « En quelques années, Wagner est devenu le principal moyen d’engagement entre la Russie et l’Afrique, et le groupe est un exemple de la convergence du crime, des affaires et de la politique dans la projection de la Russie en Afrique. L’empreinte croissante du groupe n’est qu’un élément, certes très important, de l’engagement croissant de la Russie en Afrique en matière de politique étrangère. »
Mais voici qu’en juillet 2023 une information qui semblait être une rumeur fut confirmée par le réseau social Telegram proche de Moscou. Des dizaines de paramilitaires russes de Wagner ont été tués près de la frontière avec l’Algérie par des forces rebelles du Cadre stratégique permanent (CSP), et de nombreux autres ont été faits prisonniers dans la soirée du 25 juillet 2024 à l’issue de violents combats. Les FAMA (Forces armées maliennes) et leurs supplétifs de Wagner (aujourd’hui Africa Corps) auraient abandonné sur les lieux de combat un important arsenal de guerre.
Dans les images qui ont circulé quelque temps plus tard sur les réseaux sociaux, des cadavres des paramilitaires de Wagner gisaient au sol, alors que leurs frères d’armes russes qui avaient été capturés apparaissaient ligotés, certains implorant la clémence, alors que d’autres, sous la contrainte, étaient convertis à l’islam.
Jamais il n’avait été donné de voir des hommes de troupe russes ainsi humiliés sur un terrain d’opérations, y compris au temps de la Guerre froide. C’est aussi l’effet pervers et le revers de la médaille des réseaux sociaux dont Vladimir Poutine se sert avec talent et fierté lorsque l’occasion se présente pour une démonstration de puissance.
À cette déroute de l’armée malienne est venue s’ajouter l’attaque à Bamako, deux mois plus tard, qui a fait redouter le pire aux Maliens comme à la communauté internationale, suite à une autre attaque, du GSIM celle-ci, en plein cœur de la capitale malienne, ayant eu pour cibles des points névralgiques ou des symboles du pouvoir d’État, comme le relate l’Agence France presse (AFP) le 18 septembre 2024 : « Le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) qui a revendiqué l’opération a diffusé des vidéos de ses combattants déambulant dans le pavillon présidentiel de l’aéroport et incendiant un appareil de la flotte officielle […]. Le GSIM a rapporté, via ses canaux de communication, que quelques dizaines de ses hommes avaient fait des centaines de morts et de blessés dans les rangs adverses, dont des membres du groupe russe Wagner, allié du régime de Bamako. »
La chute d’Assad
Il faut ajouter à ces deux déroutes des paramilitaires de Wagner en terre africaine les récents événements en Syrie et la chute de Bachar al-Assad. La chute du dictateur syrien, qui croyait avoir trouvé chez Poutine une assurance-vie pour la perpétuation d’un pouvoir dynastique, en a surpris plus d’un, en commençant par les alliés de Poutine, en Afrique notamment. À savoir ces États qui ont confié à la Russie la redoutable mission régalienne de protéger leur souveraineté de toute ingérence étrangère, mais en réalité d’assurer leur maintien au pouvoir sans possibilité d’alternance.
Certes, Moscou n’a pas été surpris par la chute de Bachar al-Assad. Les forces armées aériennes russes ont même appuyé les troupes au sol de l’armée régulière syrienne pour repousser les groupes rebelles, sans toutefois pouvoir empêcher leur marche sur la capitale, Damas, qui devenait chaque jour inexorable et fulgurante. La Russie s’est résolue à exfiltrer le dictateur déchu lorsqu’elle s’est rendu compte que la décomposition du pouvoir syrien, de l’intérieur, était telle que le soutenir serait mission impossible. Par ailleurs, une autre réalité et non des moindres qui décida la Russie à exfiltrer Bachar al-Assad, c’est l’impossibilité logistique et en hommes dans laquelle se trouvait la Russie de combattre sur deux fronts. Elle a fait le choix de concentrer l’essentiel de ses forces sur le front ukrainien.
Cette résignation est pour Poutine un échec diplomatique et militaire de grande ampleur. La Syrie a longtemps été pour la Russie une base stratégique. C’est à partir de la base aérienne à Hmeimim que les troupes et le matériel militaire de Wagner étaient embarqués pour l’Afrique. Ce point stratégique avait non seulement, pour les Russes, l’avantage de faire l’économie de nombreuses escales ; mais aussi, ces déplacements aériens étaient moins coûteux pour eux. La base navale de Tartous, seule base militaire navale russe hors des frontières nationales et en Méditerranée, s’est vidée de ses hommes. Faisant profil bas, Poutine n’a pas fait mystère de ses bonnes dispositions pour engager avec les nouveaux maîtres de Damas un dialogue constructif afin de sauver ce qui pouvait l’être parmi leurs nombreux intérêts.
C’est dire que le mythe de l’invincibilité de la Russie relève d’une communication de propagande que ne corroborent pas les faits d’actualité que nous venons d’évoquer.
Eric Topona Mocnga, journaliste à la Deutsche Welle