« Russie-Afrique : la voie de l’amitié et de la coopération ». C’est sur ce thème que s’est tenu à Addis-Abeba en Éthiopie, du 22 au 23 avril 2025, le Forum international des journalistes, qui aura réuni des médias du Kenya, du Cameroun, du Ghana, d’Afrique du Sud, de Guinée et de Tanzanie.
Cette initiative du Centre Alpha Dialogue et du Fonds Gorchakov pour la diplomatie publique n’est pas assez courante dans le monde médiatique africain pour ne pas être remarquée. La Russie, en plusieurs décennies de coopération avec l’Afrique, n’est pas connue pour ses états de service dans la formation des journalistes ou le soutien aux médias.
Contexte géopolitique
Il faut cependant tenir compte du contexte géopolitique dans lequel se tiennent ces rencontres. Depuis que la Russie sous Vladimir Poutine a renoué avec ses ambitions impériales, notamment celle de faire entendre la voix du Kremlin dans les grandes problématiques de la planète, elle a très tôt pris conscience de la nécessité de pourvoir sa diplomatie d’outils et de relais de communication efficaces à l’échelle internationale.
Dans le monde des médias comme dans les opinions publiques africaines, Russia Today (RT) ou Sputnik ne sont plus un mystère. Ces déclinaisons du soft power russe ont fait la preuve de leur redoutable efficacité, voire de leur inégalable agressivité face aux médias occidentaux contre lesquels les services de communication de la diplomatie russe se battent en Afrique pour conquérir les mêmes « parts de marché » en termes d’audimat et d’attractivité.
La Russie y attache d’autant plus de prix qu’elle est très peu connue des jeunes générations d’Africains. L’URSS de la guerre froide, de la guerre idéologique planétaire qui opposa le communisme au capitalisme, n’est pas la Russie de la mondialisation triomphante.
Les générations d’Africains de l’aube des indépendances, tout au moins pour nombre d’entre elles, chantaient l’Internationale et ne juraient que par la révolution communiste mondiale en raison de son idéologie égalitariste. Or, c’est notamment depuis le sommet de Sotchi (23 et 24 octobre 2019), trois ans avant l’invasion de l’Ukraine, que l’on assiste à l’offensive médiatique tous azimuts des médias russes en Afrique.
Cette offensive commence par des médias africains, ceux de la presse cybernétique comme des médias audiovisuels, dont les lignes éditoriales s’emploient à répandre un narratif favorable à Moscou, en particulier sur le terrain de la coopération russo-africaine. D’une part, cette coopération est vantée comme gagnant-gagnant pour les Russes et les Africains, d’autre part, le narratif russe la célèbre comme respectueuse de la souveraineté des États africains.
Dans une Afrique où le discours dominant dans une frange importante de la population s’inspire de la vulgate panafricaniste et du militantisme tonitruant pour une seconde et véritable décolonisation de l’Afrique, la communication de Moscou arrive à point nommé et en terrain fertile.
Miroir aux alouettes
Toutefois, il faut relever qu’en Afrique et au-delà des voix s’élèvent de plus en plus pour déconstruire et démonter le miroir aux alouettes de cette campagne médiatique russe qui n’est rien de plus qu’une propagande savamment pensée à des fins de désinformation massive, voire d’éloignement des masses africaines des enjeux véritables de leur continent.
Cette levée de boucliers contre la désinformation des canaux de communication russes figure sans doute au rang des raisons qui ont motivé la tenue de ce forum Russie-Afrique, pudiquement désigné comme celui de « l’amitié et de la coopération ».
Plus en profondeur, lorsqu’on s’intéresse aux échanges qui auront rythmé les travaux de ce sommet, quatre axes ont retenu l’attention des participants, à savoir : le rôle des médias russes en Afrique, la coopération entre la Russie et l’Afrique, la diffusion d’informations fiables et la lutte contre la désinformation, ainsi que l’utilisation de l’IA dans les médias.
Les deux derniers axes d’échanges ne peuvent guère laisser indifférents, lorsque l’on a connaissance de la capacité de désinformation en Afrique des agents de communication de Moscou et de leurs satellites africains. On peut s’interroger à juste titre sur la volonté de la Russie de diffuser des « informations fiables » et de « lutter contre la désinformation ».
À la lecture de ce thème, on est d’autant plus en droit de s’en étonner que ce sont justement les pratiques dont sont coutumiers les communicants du Kremlin en Afrique.
Formation à la désinformation ?
Par ailleurs, s’il est louable de former les médias africains à l’utilisation de l’Intelligence artificielle (IA), on pourrait en revanche se demander, sans procès d’intention ni exagération, s’il ne s’agit pas de les former aux techniques de désinformation et aux outils permettant de travestir le réel via l’IA.
En définitive, ce sommet n’est pas sans poser la question de l’autonomie des médias africains dans la production de leurs contenus.
Les restrictions de liberté d’expression en Russie et les nombreuses entraves envers les journalistes soucieux d’exercer librement leur métier ne peuvent que susciter du scepticisme lorsque des officiels de Moscou prétendent vouloir contribuer au recyclage professionnel de journalistes africains.
Éric Topona Mocnga, journaliste à la rédaction Afrique francophone de la Deutsche Welle (média international allemand), à Bonn