À l’ère de la 5ᵉ République, le Togo entre dans une nouvelle séquence politique où l’exécutif change de format. En endossant la fonction de Président du Conseil, Faure Gnassingbé quitte le costume solennel de chef d’État pour celui plus exposé de chef de gouvernement. Une mutation institutionnelle, mais surtout politique, qui redéfinit sa posture, ses responsabilités et sa relation avec les Togolais.
En vigueur depuis le 06 mai 2024, la 5ᵉ République consacre une architecture de type parlementaire, marquant la fin du régime présidentialiste de la 4ᵉ République. Autrefois, Faure Gnassingbé concentrait entre ses mains les leviers de décision, de représentation et d’arbitrage. Il nommait le gouvernement, contrôlait le rythme parlementaire, incarnait la Nation et commandait l’action publique. C’est d’ailleurs le rôle classique dans un présidentialisme fort, comme on le retrouve dans plusieurs États africains francophones.
Cette réalité présidentialiste relève du passé. Désormais, le président de la République togolaise devient une figure d’unité et de stabilité, tandis que le pouvoir exécutif opérationnel glisse entre les mains du Président du Conseil des ministres. En acceptant cette fonction, Faure Gnassingbé engage une transition singulière et un revirement à 360° : il passe d’un rôle de surplomb institutionnel à celui de coordination quotidienne. Le symbole est fort et ce changement est risqué : il ne s’agit plus de régner, mais de gouverner.
Président du Conseil : Une exposition…
Selon l’article 54, al 1 de la constitution du 06 mai 2024, « Le Président du Conseil, après délibération du conseil des ministres, peut engager devant l’Assemblée nationale la responsabilité du gouvernement sur son programme ». Cette responsabilité implique l’obligation de rendre compte, de défendre ses choix politiques, d’expliquer ses arbitrages, de subir parfois des critiques, voire une motion de défiance. Même la motion de défiance (al. 4 & 5) est trop bien encadrée pour aboutir aussi facilement.
En optant pour ce rôle, Faure Gnassingbé se place dans une configuration où il ne peut plus s’abriter derrière un Premier ministre. Il devient l’interlocuteur principal du Parlement, un acteur de première ligne dans l’arène politique. Plus de paravent institutionnel. Fini le rempart d’un Premier ministre pour amortir les chocs. La fonction de président du Conseil expose, engage, oblige.
Le Président du Conseil doit, donc, être dans l’action, au quotidien : conduire les politiques publiques, coordonner les ministres, superviser les réponses aux crises, suivre les réformes et se montrer sur le terrain. Il devient le capitaine visible d’un navire complexe, exposé aux multiformes attentes populaires. Dans le cas de Faure Gnassingbé, cette exposition directe à la performance gouvernementale marque une rupture : il n’est plus seulement garant du cap national, il en est l’exécutant en chef avec, pour rappel, les exigences suivantes : présence renforcée dans les territoires (visites de chantiers, lancements de projets, etc.), interventions clés devant l’Assemblée nationale (discours de politique générale, réponses aux questions des députés), prise de parole stratégique (interventions médiatiques ciblées pour expliquer, rassurer, convaincre). L’heure de la métamorphose !
Un point mérite d’être souligné dans cette envolée : celui du discours de politique générale. Bien que le nouveau texte constitutionnel ne détaille pas explicitement les modalités de cette présentation, le Président du Conseil, en tant que chef du gouvernement, est tenu de présenter un discours de politique générale devant l’Assemblée nationale. Cette exigence s’inscrit dans le cadre du régime parlementaire instauré, qui renforce la responsabilité politique du gouvernement devant le Parlement. Ce discours permettra aux députés d’apprécier la cohérence et la pertinence du programme gouvernemental, et, le cas échéant, d’engager un débat ou de voter une motion de confiance ou de défiance.
Parole gouvernementale ?
Jusqu’ici, Faure Gnassingbé est reconnu pour sa retenue dans la communication. Mais dans cette nouvelle posture, il lui faut adopter une parole d’incarnation, sans pour autant tomber dans la banalisation, ni dans l’usure médiatique. Avec sa nouvelle casquette de président du Conseil, plus de silence stratégique du chef d’État, il doit parler, parce que sa parole devient parole gouvernementale, qui ne peut être mécanique, ni dispersée. Trop absente, elle laisserait place à l’incertitude. Les internautes, les journalistes, les activistes, les détracteurs vont parler à sa place, sans aucun doute. Il ne peut tout commenter, mais il devra prendre la parole dans les moments décisifs, comme le font Pedro Sánchez en Espagne et bien d’autres.
Et le réalisme m’interpella (Rires). Ne pouvant pas, à la vitesse grand V, se départir, ni rompre avec son habituel silence stratégique, Faure Gnassingbé pourrait judicieusement s’appuyer sur un porte-parole solide, afin d’éviter une surexposition médiatique et de préserver son capital d’image. Il trouvera.
L’opportunisme politique ou la politique de circonstance s’invite. Même si le Président du Conseil n’est pas le produit d’un suffrage direct, ce dernier peut, par cette nouvelle posture, asseoir une stratégie de positionnement en renforçant le lien politique avec les citoyens. En se montrant sur le terrain, en répondant aux interpellations, en s’ouvrant aux critiques constructives, Faure Gnassingbé pourrait incarner un nouveau style de leadership : accessible, agile, proche. Un leadership de responsabilité plutôt que de majesté. Le président du Conseil ne peut plus être un homme d’État distant : il devient le visage visible, audible et responsable d’un exécutif tourné vers les résultats.
Le costume a changé. Le rôle aussi. Le défi, lui, ne fait que commencer.
Donis AYIVI
Politiste & Consultant en communication stratégique