Il y a des visages qui traversent les crises sans vaciller, des figures qui, dans l’ombre des gouvernements, tiennent les rênes d’un pays au bord du précipice. Tahir Hamid Nguilin est de ceux-là. Inamovible ministre des Finances et du Budget, il incarne à la fois la rigueur technocratique et la résilience d’un État qui lutte pour redresser une économie fragile, plombée par des décennies de dépendance au pétrole et des dettes asphyxiantes.
Dans les couloirs austères de son ministère, au cœur de N’Djamena, Tahir Hamid Nguilin est un homme de paradoxes. Peu expansif, souvent perçu comme distant, il fascine autant qu’il agace. Ses détracteurs le décrivent comme un technocrate froid, hermétique aux jeux politiques, mais aussi comme un homme qui sait habilement utiliser sa position stratégique pour régler ses comptes. Selon eux, il n’hésite pas à couper les financements à ses adversaires, transformant le contrôle des finances publiques en un levier d’influence, voire de pression politique. Pour beaucoup, le ministère des Finances est devenu sous sa direction bien plus qu’un centre de gestion budgétaire : un instrument de pouvoir.
Ses partisans, eux, balayent ces critiques d’un revers de la main. Ils saluent un « redresseur de dette » acharné, un homme de dossiers qui connaît chaque chiffre du budget national comme s’il s’agissait de versets sacrés. Pour eux, sa rigueur et son intransigeance sont des qualités essentielles dans un environnement où la gestion publique a trop longtemps été marquée par le laxisme et la corruption.
L’art du redressement financier
Nommé ministre des Finances en 2019, dans un Tchad alors en proie à des turbulences économiques, Tahir Hamid Nguilin a rapidement imposé sa marque : discipline budgétaire, transparence accrue dans la gestion des ressources publiques et négociations serrées avec les bailleurs internationaux.
Sous sa houlette, le Tchad a obtenu sa toute première notation souveraine de la part de l’agence Standard & Poor’s. Une étape symbolique mais décisive, qui place le pays sur la carte des marchés financiers internationaux. Cette notation n’est pas un simple exercice de style : elle reflète la volonté de Nguilin de donner au Tchad une crédibilité économique, un passeport pour attirer des investisseurs dans un pays longtemps perçu comme un terrain miné par l’instabilité.
Son rôle clé dans la renégociation de la dette extérieure tchadienne, notamment avec le Club de Paris et les créanciers privés, a marqué un tournant. Avec une détermination froide, il a su naviguer dans les arcanes des institutions financières internationales, défendant pied à pied les intérêts d’un pays souvent en position de faiblesse. « Il a cette capacité à parler le langage des bailleurs, à transformer des chiffres en arguments politiques », confie un diplomate en poste à N’Djamena.
Mais au-delà des négociations financières, Tahir Hamid Nguilin est également l’homme derrière l’offensive économique contre Savannah Energy, une entreprise britannique impliquée dans l’exploitation pétrolière tchadienne. Il mène de front ce bras de fer stratégique, contestant l’acquisition par Savannah des actifs de la major ExxonMobil au Tchad. Pour lui, il s’agit d’une question de souveraineté économique : protéger les intérêts nationaux face à des contrats jugés déséquilibrés. Cette guerre économique, qui s’est exportée jusque dans les tribunaux internationaux, est devenue un symbole de son style : rigide, déterminé, et peu enclin à céder, même face à des géants de l’industrie.
Un technocrate aux ambitions politiques ?
Si Tahir Hamid Nguilin s’est toujours présenté comme un technocrate pur, sa présence sur la scène politique tchadienne ne passe pas inaperçue. Il est en effet à la tête de “La Convergence Victorieuse”, l’un des bureaux de soutien les plus influents du pays, véritable machine politique en faveur du MPS (Mouvement Patriotique du Salut). Lors des dernières élections présidentielles, son bureau s’est illustré par sa capacité à mobiliser des foules impressionnantes, surpassant meme à certains égards les structures traditionnelles du parti au pouvoir.
Cette double casquette — ministre des Finances et acteur politique de l’ombre — alimente les spéculations. Certains y voient l’émergence d’un stratège ambitieux, capable de peser dans les futures recompositions du pouvoir. D’autres considèrent que son engagement au sein de la Convergence Victorieuse est une manière de solidifier sa position ministérielle en entretenant des réseaux d’influence bien au-delà des cercles technocratiques.
Mais Tahir Hamid Nguilin n’est pas seulement un ministre des Finances. Il est devenu, au fil des années, la clé de voûte d’un système où l’économie est le nerf de la stabilité politique. Dans un Tchad en quête de diversification économique, il incarne cette volonté de sortir de la dépendance pétrolière pour explorer d’autres horizons : agriculture, énergies renouvelables, infrastructures.
Son influence dépasse largement les murs de son ministère. Il conseille, oriente, négocie, souvent dans l’ombre, loin des projecteurs. Certains le voient déjà comme un potentiel « faiseur de rois » dans les arcanes du pouvoir tchadien, tant sa maîtrise des équilibres économiques lui confère un poids politique non négligeable.
L’avenir dira si Tahir Hamid Nguilin est l’homme qui aura véritablement transformé l’économie tchadienne ou s’il restera dans l’histoire comme un simple gestionnaire habile d’un État en crise. Mais une chose est certaine : dans un pays où les ministres défilent au rythme des crises politiques, lui est resté. Inamovible, impassible, presque indifférent aux tempêtes qui secouent le sommet de l’État.
Dans les bureaux du ministère des Finances, son visage austère s’efface derrière les piles de dossiers. Mais pour ceux qui savent lire entre les lignes des bilans comptables, une évidence s’impose : le Tchad, aujourd’hui, c’est aussi l’œuvre discrète de Tahir Hamid Nguilin. Un homme de chiffres dans un pays de passions. Un homme d’influence, dont l’ombre plane bien au-delà des colonnes du budget.