Tchad : l’approche méthodologique au cœur des défis économiques du développement, par Dr Amma Abderahim N’djaye

Tribune – Au Tchad, il y a certes des défis sociaux et politiques (la paix, la cohésion) qui ne sont pas des moindres. Mais, l’économie est incontestablement le pilier qui soutient les autres aspects, en ce sens qu’il faut des ressources pour réaliser les ambitions et les projets socio-politiques. On en dira que l’économie est l’épine dorsale de toute société.

En Afrique et notamment, au Tchad, l’économie est un domaine qui pâtit du manque des spécialistes et de la fuite des cerveaux. Dans certains contextes, lorsque les profanes occupent le terrain, l’atteinte des objectifs s’amenuise.

Les réponses aux problèmes économiques et l’atteinte du développement doivent être pensées par des experts locaux entre autres, dans un cadre de réflexion et d’analyse globale. L’apport de solutions isolées ou hâtives est à proscrire car il y a un risque que les politiques soient inadaptées au contexte et lequel cas, les coûts financiers et la perte de temps seront considérables.

En effet, dans le domaine économique, une absence de réponse à un problème coûte moins cher qu’une réponse inappropriée. Cette dernière aura des conséquences néfastes et un effet domino qui pourra s’étendre à d’autres secteurs de la vie publique.

Nos défis sont multiples. Ils vont de la confusion des concepts au mutisme économique, en passant par le problème du financement du développement et celui des stratégies idoines…

Il est à noter que cette analyse n’entend pas épuiser toute la question des défis économiques du développement, mais relève les difficultés d’ordre méthodologique qui constituent un défi majeur.

L’économie : une difficulté conceptuelle avant toute chose ! 

Dans notre contexte, lors de différentes réunions et autres cadres d’échanges, j’ai pu constater que le terme « économie » prête confusion.

Un jour, le but de l’échange qui nous a réunis portait sur une réflexion sur notre économie et les défis y afférents, et à ma grande surprise, aucun des participants n’a parlé d’économie. Les interventions portaient sur : les écoles ; les hôpitaux et centres de santé ; l’hydraulique ; etc.

Ces aspects relèvent du social, de la lutte contre la pauvreté, des politiques publiques sectorielles, ou encore du développement humain. Ils sont parfois les causes et souvent les conséquences du développement économique et se complètent pour avoir un développement socio-économique durable ou développement durable tout simplement. Et ce, dans la mesure où la durabilité a plusieurs aspects : social, environnemental, économique etc.

Il est à noter qu’au départ, la notion de développement n’était appréhendée que sous l’angle économique, étant donné que l’indicateur retenu est le Produit Intérieur Brut (PIB) ou plus précisément sa croissance. Cependant, des réflexions dirigées notamment par Amartya Sen et Joseph Stiglitz, qui considèrent que le bien-être des humains ne se résume pas uniquement à l’économie et aux revenus, vont mettre en évidence la notion de « développement humain » et sa mesure grâce à l’Indice de Développement Humain (IDH). Il s’agit en effet d’un outil synthétique essayant d’évaluer le niveau de développement moyen des pays en se basant sur 3 critères : la longévité  (l’espérance de vie à la naissance), l’instruction (taux d’alphabétisation des adultes et  taux de scolarisation toutes catégories confondues) et la possibilité de disposer d’un niveau de vie décent (PIB/habitant).

Toutefois, le progrès économique est la base de tout développement. La mise au point conceptuelle étant posée, la méthodologie est une autre étape clé dans l’analyse d’un problème et détermine sa résolution.

La diversification sectorielle : une priorité pour notre économie

En tant que moteur de toute société, l’économie permet de dégager des ressources pour alimenter les autres secteurs et la mise en œuvre des politiques publiques (sécurité publique et alimentaire, protection environnementale, éducation nationale, électrification rurale et urbaine, couverture sanitaire, etc.).

Toutes les sociétés, depuis la nuit des temps, ont été structurées autour de l’économie, qui précède la politique. Pour mettre en œuvre les programmes politiques, il faut des ressources financières et c’est l’économie qui permet de dégager ces ressources comme nous l’avons dit plus haut mais la répétition est l’art de la pédagogie !

Ceci étant, ces dernières années, nous avons souvent parlé de la nécessité de mettre en place une industrialisation plurielle, une diversification de notre économie afin d’assurer une durabilité à notre croissance et limiter la dépendance à l’égard du secteur extractif. Lequel secteur repose sur des ressources finies et non renouvelables. Cependant, dans ce cadre, il y a eu quelques initiatives dont la concrétisation n’a pas tenu ses promesses. Ces projets d’industrialisation ont dans certains cas, été portés par des hommes d’affaires en dehors d’un réel cadre stratégique et finalement, nous avons récolté des éléphants blancs !

D’un autre côté, des aspects tels que les études de faisabilité, de marché, le ciblage sectoriel, le ciblage des investisseurs, l’économie des coûts, l’allocation des ressources, une communication active sur les produits (marketing), la recherche de débouchés et de circuits de distribution etc., sont négligés au profit de la phase « appels d’offres » et « passations de marchés ».

La diversification doit s’inscrire dans des stratégies/plans de développement bien pensés, qui requièrent l’implication de différents experts avec les économistes dans le starting-block. Et la phase préparatoire des projets nécessite plusieurs études et des partages d’expériences avec les pays africains (entre autres) ayant des expériences d’industrialisation réussies. Et ce, tout en mettant en garde contre les politiques importées étant donné la spécificité de chaque contexte.

En ce qui concerne le développement du secteur agricole, qui est le point de départ de toute transformation structurelle, des milliards y ont été investis il y a quelques années. Il y a eu certes des améliorations mais elles restent en deçà des ambitions affichées.

Par ailleurs, dans quasiment tous les pays, la transformation structurelle s’opère du secteur primaire vers le secondaire et le tertiaire.

En d’autres termes, dans les étapes du développement, il y a eu le développement du secteur primaire, puis secondaire et ensuite tertiaire (avec la révolution agricole, industrielle et technologique). Or, dans les pays africains, faute de démarche méthodiquement pensée, ces étapes se confondent et on assiste à un « surdéveloppement » du tertiaire alors que les besoins de base ne sont pas satisfaits.

Enfin de compte, nos difficultés à atteindre notre vitesse de croisière sur le plan économique relèvent également d’un problème méthodologique et stratégique. Il faut un cadre d’orientations stratégiques claires et une synergie. Il faut de la vision pour ce développement.

L’économie est une science, elle ne s’improvise pas. Il faut faire appel aux experts. Le faible nombre d’économistes à travers le monde et notamment en Afrique où le pourcentage des femmes Docteures en Economie est quasi-nul. C’est un milieu select et sélectif, conservateur, souvent sujet au racisme, sexisme voire à l’antisémitisme si on doit reprendre l’histoire de l’économie.

Amma Abderahim Ndjaye,
Docteure en économie, experte en économie du développement

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