Les récentes attaques djihadistes qui ont gravement endeuillé l’armée et le peuple béninois, faisant plus d’une cinquantaine de morts, sont encore présentes dans les esprits. Elles illustrent à suffisance l’expansion problématique du péril djihadiste en Afrique de l’Ouest et le péril qu’il fait peser désormais sur la région tout entière.
Le rapport du Timbuktu Institute, publié fin avril 2025, n’est que la traduction d’une grave menace qui gagne en intensité et en dangerosité à la zone dite “des Trois Frontières” commune au Mali, au Burkina Faso et au Niger.
Stratégie d’infiltration des pays côtiers
Par ailleurs, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM dans son acronyme anglais), mettant à profit la porosité des frontières entre le Sénégal et le Mali, poursuit son implantation au Sénégal où il a posé de solides amarres.
D’après ce rapport, les terroristes du JNIM ont compris tout l’intérêt qu’ils peuvent tirer d’un solide ancrage en Mauritanie et au Sénégal, ces pays côtiers qui bénéficient d’un accès à la mer, contrairement au Mali, au Burkina Faso et au Niger.
Il faut souligner à cet égard que, dans de nombreuses régions du monde, les organisations mafieuses ont grand intérêt à prendre position dans des espaces stratégiques qui leur donnent un accès direct à la mer. Ils peuvent ainsi exporter en toute illégalité le butin de leurs activités criminelles et importer, par les mêmes voies, armes et munitions, ainsi que tous les biens matériels dont ils ont besoin pour leur subsistance et la poursuite de leurs objectifs de guerre ; d’où la sanctuarisation de leurs positions au Sénégal et en Mauritanie.
Les raisons de la montée en puissance du JNIM
Au-delà de ce constat alarmant, il convient au préalable de s’interroger sur les causes de cet enracinement criminel des terroristes du JNIM jusqu’à l’intérieur des frontières sénégalaises à partir du sud-ouest du Mali.
Comme le groupe terroriste Boko Haram en Afrique de l’Ouest et en Afrique Centrale, les causes sont quasiment les mêmes.
Au premier rang de celles-ci figure une absence de l’État, tout au moins un déficit substantiel de la présence étatique.
Dans la région de Kayes par exemple et à l’intérieur des frontières du Sénégal, le JNIM s’implante aisément là où l’État ne parvient pas à déployer son autorité ou lorsque la présence étatique est défaillante.
Dans une approche de contrôle démagogique des masses, le JNIM combine un semblant d’autorité paraétatique et un système social de redistribution envers les populations les plus vulnérables.
À cet égard, ils ont également compris tout l’intérêt qu’ils pouvaient tirer de l’exploitation des divisions au sein des populations sous leur emprise. Dans ces sociétés où perdurent les systèmes de castes, notamment la prévalence de la primogéniture au détriment des plus jeunes qui constituent pourtant la majorité de la population, le JNIM a trouvé dans la jeunesse un vivier pour ses recrutements et l’implantation de ses antennes locales.
Ce terreau leur est d’autant plus favorable que de très nombreux jeunes dans cette région des Trois Frontières sont victimes d’un chômage de masse.
Dans ce contexte de désespérance quasi généralisée, d’absence de perspectives et de confiance en soi, ces jeunes croient ainsi accéder, via les promesses matérielles du JNIM et leur capacité de prédication théologique, à la reconnaissance sociale tant espérée. Selon le Timbuktu Institute, « […] 85 % des habitants des régions de Kédougou, Matam et Tambacounda citent le chômage comme raison pour laquelle une personne rejoindrait un groupe extrémiste violent ; ce qui en fait de loin la raison la plus fréquente, loin devant l’idéologie et la criminalité, qui semblent retenir l’attention, notamment à propos de l’orpaillage ».
Prendre des mesures hardies
Cette dégradation de la situation sécuritaire dans la région des Trois Frontières ne peut pas perdurer, car, au-delà de la stabilité du Mali, du Sénégal et de la Mauritanie, ces groupes terroristes font peser de graves menaces sur l’économie de ces États.
À titre d’exemple, le Niger, qui fait son entrée dans le cercle restreint des pays exportateurs de pétrole, est confronté à de régulières tentatives de sabotage de ses installations pétrolières qui ont été endommagées à diverses reprises.
Le Sénégal deviendra, dans un proche avenir, un pays exportateur d’hydrocarbures de premier plan en Afrique subsaharienne. Dans ce contexte, les enjeux sécuritaires ne relèvent pas seulement des impératifs relatifs à la sécurisation des frontières. La nécessaire sécurisation des infrastructures de transport et de production des richesses, de libre circulation des personnes et des biens est vitale. C’est l’une des conditions essentielles pour que ces États soient capables de faire reculer l’extrême pauvreté, le chômage de masse, avec leurs corollaires que sont la vulnérabilité des jeunes aux sirènes djihadistes et la tentation d’emprunter les chemins périlleux de la Méditerranée pour des aventures parfois sans lendemain vers l’Europe.
Enfin, on ne le dira jamais assez, aucun État africain ne peut venir seul à bout de cette menace tentaculaire. Il est plus que jamais nécessaire d’en prendre conscience, en ce moment, en Afrique de l’Ouest, car certains États sont tentés de faire cavaliers seuls alors qu’ils sont tous embarqués dans le même navire et confrontés aux mêmes périls.
Éric Topona Mocnga, journaliste à la Deutsche Welle