La Journée de l’Afrique, qui a été célébrée le dimanche 25 mai 2025, a été honorée dans une Afrique et un monde en proie à des bouleversements géopolitiques sans précédent depuis le début du XXIe siècle ; à l’exception notable de ceux provoqués par les attentats du 11 septembre 2001 à New York.
Tous les observateurs de la scène politique mondiale s’accordent pour reconnaître que, depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche en janvier 2025, les repères qui structuraient le champ des relations internationales ont été chamboulés, qu’il s’agisse du droit international classique, du multilatéralisme ou du rôle reconnu aux organisations internationales du système onusien depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (le 2 septembre 1945 avec la capitulation du Japon). Dans le sillage de cette nouvelle donne internationale impulsée par les États-Unis d’Amérique, l’Afrique a vu s’effondrer quelques-unes des assurances qui étaient naguère les siennes dans le système de la coopération internationale sous drapeau états-unien.
Le rapport de l’Afrique avec elle-même
Mais, à l’occasion de la Journée de l’Afrique, la préoccupation majeure concerne le rapport que l’Afrique entretient avec elle-même depuis quelque temps, l’image qu’elle se fait de sa place dans le monde et la manière dont elle se projette pour les années et les décennies à venir dans le vaste monde des relations internationales.
À cet égard, deux tendances fortes se dégagent. D’une part, une nette régression en matière de gouvernance, notamment pour ce qui concerne les processus démocratiques impulsés au début des années 1990, et, d’autre part, un vif débat idéologique sur l’africanité et la place de l’Africain dans le monde.
Les années 1990 ont été porteuses de grands espoirs, en Afrique. Les peuples qui avaient longtemps été sevrés d’une Afrique debout, performante et respectée sur la scène internationale ont vu en grande partie les idéaux des indépendances trahis par nombre des élites de leurs classes dirigeantes. Les partis uniques qui ont restreint l’espace des libertés au prétexte de consolider l’unité nationale et de mobiliser les peuples sur les chantiers urgents et nécessaires du développement ont davantage muselé les capacités d’innovation et d’inventivité des peuples. Dans le même temps, l’État de droit a été mis en berne et, au bout du compte, les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs. La faillite et l’effondrement du communisme soviétique, dont le parti unique fut un calque en Afrique, ont ouvert les vannes de la libéralisation économique et politique.
Espoirs déçus
L’ère de la démocratisation a été accueillie avec une ferveur immense en Afrique. Elle était censée corriger les errements et les échecs de l’ère des partis uniques.
Pierre Jacquemot souligne fort opportunément cette dynamique politique dans son essai intitulé De l’élection à la démocratie en Afrique (1960-2020), publié par la Fondation Jean-Jaurès : « Entre février 1990 et août 1991, le Bénin fut pionnier en ce domaine, suivi par le Gabon, le Congo, le Mali, le Togo, le Niger et le Zaïre. Ils organisèrent, sous la pression de forces pro-démocratiques qui n’étaient plus des oies effacées et crédules se pliant aux oukases du chef, des conférences nationales souveraines réunissant des centaines de délégués d’horizons divers. Des demandes identiques émergèrent en Mauritanie, en République centrafricaine, au Cameroun, à Madagascar, au Burkina Faso et plus tard au Tchad, avec des résultats variés […]. Ces conférences, dont le but était d’abord l’abrogation du système constitutionnel d’alors, jugé totalitaire, constituèrent un rituel de transgression qui permit d’évacuer symboliquement les conflits, en offrant un espace public à la libre parole. »
Paradoxalement, à peine une décennie après l’amorce de cette nouvelle séquence politique, l’Afrique a renoué avec des maux caractéristiques de la mauvaise gouvernance tels que le tripatouillage des constitutions et les coups d’État militaires.
Ce désenchantement des peuples, la stagnation du continent dans l’amélioration des conditions de vie du plus grand nombre, voire la régression de certains États qui étaient pourtant appréciés comme des locomotives du progrès en Afrique ont parfois conduit certains à regretter l’ère des partis uniques, notamment celle des grandes idéologies fédératrices telles que le panafricanisme et le souverainisme. Les chantres de cette approche nouvelle du futur de l’Afrique en sont venus à conclure à la nécessité, pour le berceau de l’humanité, de puiser dans le corpus idéologique des pères fondateurs.
Or, à l’observation des expériences idéologiques en cours dans certains États du Sahel, notamment le Niger, le Mali et le Burkina Faso, il y a lieu de se demander si la renaissance africaine est effective.
En effet, ces expériences laissent perplexe. Au nom d’une nécessaire seconde décolonisation de l’Afrique et d’un néo-panafricanisme, les libertés individuelles et collectives sont réduites à peau de chagrin.
La Journée de l’Afrique, au-delà du symbole, doit servir de boussole pour que les Africains puissent se poser la seule question urgente actuellement : quelle Afrique voulons-nous pour les générations futures ?
Éric Topona Mocnga, journaliste à la rédaction Afrique-Francophone de la Deutsche Welle, à Bonn (Allemagne)