Coopération UE-Afrique : bilan d’étapes

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La reconfiguration des relations internationales en cours, depuis la présence grandissante de la Chine et de la Russie en Afrique, voire des puissances émergentes telles que l’Inde, la Turquie et le Brésil, suscite des interrogations pour en arriver à des déductions.

Cette reconfiguration des relations internationales conduit certains analystes à conclure que la relation Union européenne-Afrique non seulement a du plomb dans laile, mais est vouée à un déclin inexorable. Pour dautres observateurs, parfois de mauvaise foi ou qui pâtissent dun déficit dinformations, il faudrait se réjouir de cette glaciation de la relation Europe-Afrique, et ce dautant plus quelle naura apporté au berceau de lhumanité que drames et tragédies qui ne semblent par ailleurs pas connaître de terme. 

La fermeture récente des bases militaires françaises dans plusieurs pays africains, la diversification des partenariats et le multilatéralisme, qui sont désormais légion en matière de coopération internationale dans la quasi-totalité des États africains, donne davantage de grain à moudre à ces discours qui estiment que la relation avec lUnion européenne na plus davenir, dautant moins quelle na pas à son actif des réalisations quil mérite de célébrer.

Comme nous le verrons tout au long des décennies précédentes, en Afrique et au Tchad en particulier, nous nous rendrons à lévidence que les jugements et les analyses à lemporte-pièce sont parfois fort éloignés des réalités du terrain et de la vérité des faits.

Spécificité de la coopération UE-Afrique

Il faut commencer par souligner la spécificité de la relation Europe-Afrique. En effet, au-delà des drames et des vicissitudes de lhistoire, lEurope et lAfrique sont vouées à une coopération étroite. Comme nous le verrons dans la suite de cette tribune, cette coopération géostratégique trouve davantage son importance dans le chamboulement actuel des alliances depuis larrivée à la Maison-Blanche de Donald Trump. 

Contrairement à une idée fort répandue en Europe, mais aussi en Afrique, dans les milieux des décideurs politiques, des médias ou des intellectuels, entre lEurope et lAfrique, la Méditerranée nest pas une frontière, mais un pont. Cette vérité qui simpose delle-même est attestée par des siècles dhistoire. Cet espace maritime nest pas seulement la voie de passage privilégiée de migrants africains qui tentent de rejoindre au péril de leur vie lEldorado européen. 

Mais tout au long de lhistoire, avant comme après la Traite transatlantique, ce fut un lieu déchanges, de transmission de cultures, de savoirs et de visions du monde.

Les propos de lancien président de la Commission de lUnion européenne, José Manuel Barroso, corroborent cette évidence dans sa préface à la publication du Conseil de lEurope intitulée Le Partenariat stratégique entre lAfrique et lUnion européenne. Investir dans les personnes pour la prospérité et la paix : « LUE et lAfrique sont voisines, ce qui en fait des partenaires naturels. Nous avons une mer en commun et, bien quils vivent sur deux continents différents, nos peuples partagent une même vision, celle dune Europe et dune Afrique plus prospères, plus stables et plus ouvertes. Nous avons aussi la volonté commune dœuvrer conjointement à la concrétisation de cette vision. Dans un monde de plus en plus interdépendant et en mutation rapide, les destinées de lEurope et de lAfrique sont étroitement liées. Depuis les menaces qui pèsent sur la paix, la démocratie et la prospérité économique jusquà la lutte contre la pauvreté et le changement climatique, ce qui concerne lAfrique concerne lEurope, et inversement. Cest la raison pour laquelle nous avons fait nôtre une nouvelle vision tournée vers lavenir : la stratégie commune Afrique-UE adoptée en 2007 lors du sommet de Lisbonne, dont est issu un partenariat dégal à égal et qui dépasse le cadre du développement pour aborder les questions dintérêt commun. »

Cest sur le fondement de cette réalité géostratégique, des liens et des intérêts communs qui se sont noués entre Européens et Africains, en dépit des contingences dramatiques de lhistoire, quau lendemain de la colonisation, Européens et Africains conviennent de construire une relation partenariale nouvelle.

Le 20 juillet 1963, la Convention de Yaoundé sera signée entre lEurope des Six et dix-huit États africains et de Madagascar associés (EAMA).  Dans lesprit de la Convention de Yaoundé, les anciennes colonies africaines, notamment françaises et belges, étant désormais de nouveaux États indépendants, il sagit de manière primordiale pour lEurope, au plan géopolitique, déviter quelles ne basculent dans la sphère dinfluence de lURSS de lépoque. 

Financement des projets

Dans les objectifs initiaux de cette coopération naissante, il s’agira essentiellement de financer en Afrique les projets dinfrastructures. Ainsi naîtra le partenariat UE-ACP (Union européenne-Afrique Caraïbes et Pacifique). L’une des innovations de ce partenariat se situe au plan commercial. 

En effet, il accorde notamment aux pays africains un accès préférentiel au marché européen, en dépit des fluctuations des prix sur le marché mondial. Cest dailleurs dans le même esprit que les États-Unis ont promulgué, en 2000, sous la présidence du démocrate Bill Clinton, lAGOA (African Growth and Opportunity Act). Cette loi commerciale historique permet aux pays africains d’exporter de nombreux produits vers les États-Unis sans droits de douane, s’ils respectent une série de conditions (pluralisme politique, respect des droits humains, lutte contre la corruption). 

Malheureusement, ce dispositif, crucial pour les exportations africaines vers les États-Unis arrive à échéance en septembre 2025. Son avenir est incertain, car il pourrait être remis en cause par l’administration de Donald Trump.

Aménagements majeurs

Ce nouvel horizon de la coopération Europe-Afrique connaîtra trois aménagements majeurs qui intègrent les mutations de lenvironnement international. Suivront alors successivement la Convention de Lomé, en 1975, puis les Accords de Cotonou, signés en 2000 et qui entreront en vigueur en 2003.

La coopération Afrique-Union européenne a évolué pour sétendre aux préoccupations majeures et communes aux deux entités et elles ont concerné, par exemple pour la période 2014-2017, les axes ci-après : paix et sécurité, démocratie, bonne gouvernance et droits de lhomme, développement humain, développement et croissance durables et inclusifs et intégration continentale, questions globales et émergentes. 

En 2020, ce partenariat stratégique a été renouvelé tout en intégrant les mutations nouvelles du monde global avec notamment les enjeux autour de la transition écologique et la transformation numérique. Certes, il est indéniable que la coopération UE-Afrique nest guère parfaite et nécessite en certains points des ajustements, voire des améliorations. Mais il nen demeure pas moins vrai quelle est tout aussi indispensable.

Cette vision commune pour la paix et la sécurité sest traduite par des financements substantiels de lUnion européenne en Afrique par le biais de la Facilité de soutien à la paix pour lAfrique. 

Dans ce cadre dappui, lUnion européenne a financé, entre 2004 et 2019, des opérations de maintien de la paix à hauteur de 2,7 milliards deuros. En 2022, dans le cadre de la Facilité européenne pour la paix, lUnion européenne a financé lUnion africaine à hauteur de 600 millions deuros.

Au-delà de son soutien aux processus de paix ou à la sécurisation des frontières, il y a également lieu de relever que lUnion européenne est fortement présente en Afrique dans lappui aux sociétés civiles, aux projets de développement ou aux projets humanitaires, quils soient étatiques ou non-étatiques.

Pour lannée 2024, lUnion européenne a accordé une aide de 171 millions deuros de soutien à des projets humanitaires à certains pays de la Corne de lAfrique, à savoir lÉthiopie, le Kenya, la Somalie, le Soudan du Sud et lOuganda, comme latteste le communiqué de la Commission de lUnion européenne qui officialise cette aide : « Les habitants de la Corne de lAfrique sont confrontés à des besoins humanitaires sans cesse accrus, la région étant durement touchée par de multiples conflits, des phénomènes climatiques extrêmes et des chocs économiques, environ 65 millions de personnes ont besoin dune aide immédiate. »

Appui aux processus politiques

La coopération entre l’Afrique et l’Union européenne sillustre également sur le terrain de lappui aux processus politiques. L’UE a ainsi été la cheville ouvrière du Dialogue inter-togolais rendu nécessaire par la grave crise sociopolitique consécutive aux événements dramatiques à loccasion des consultations électorales de 2005. L’UE a par ailleurs poursuivi un travail de veille, pour préserver cet accord bâti sur un « code de bonne conduite » entre les différents acteurs politiques.

Au Tchad, l’Union européenne sest déployée dans une dynamique similaire qui aura abouti à la signature de “l’accord politique en vue du renforcement du processus démocratique au Tchad” par l’ensemble des partis politiques tchadiens, de la majorité et de l’opposition. Lobjectif était de renforcer le processus démocratique au Tchad. 

L’UE aura non seulement établi les conditions pour un dialogue quasiment bloqué entre les principaux acteurs politiques du pays, mais elle aura également, par son entregent, contribué à la décrispation durable du climat sociopolitique selon la déclaration de lUnion européenne au terme de ces négociations ardues : 

« Cet accord représente une avancée majeure dans la restauration de la confiance politique et la consolidation du processus démocratique tchadien. Il est le fruit dun exercice de dialogue politique exemplaire, engagé en décembre 2006 avec le soutien de lUnion européenne et mené depuis, avec courage et détermination, par dix-sept partis représentatifs de la scène politique tchadienne. »

Au Tchad, l’Union européenne apporte également un appui substantiel au renforcement de lÉtat de droit et à la bonne gouvernance.  Durant six années, de 2015 à 2021, le Tchad aura ainsi bénéficié, de la part de lUnion européenne, d’une aide substantielle, sous forme d’appui budgétaire pour un montant de 172 millions deuros, ainsi que de 12 millions deuros pour soutenir la réforme des finances publiques. 

Aide humanitaire

Sagissant de laide humanitaire, pour ne prendre que cet autre exemple parmi tant dautres quil serait fastidieux dévoquer ici, lUnion européenne a apporté une aide de 350 000 euros, comme elle le fait dailleurs dans de nombreux pays africains en pareille circonstance.

Récemment, lUnion européenne a annoncé une aide humanitaire au Tchad pour l’aider à faire face à lafflux des réfugiés soudanais sur son sol. En visite dans l’est du Tchad début avril 2025, Hadja Lahbib, la commissaire européenne à lÉgalité, la Préparation et la Gestion des crises, a annoncé une aide de l’UE à hauteur de 74 millions deuros. Selon elle, « les fonds seront utilisés pour l’aide alimentaire et nutritionnelle, la protection des personnes et des familles vulnérables, les soins de santé et les médicaments essentiels, l’eau, l’assainissement et les services d’hygiène, les abris pour les populations déplacées, l’éducation et la réponse rapide multisectorielle ».

En somme, au-delà des idées reçues et des contre-vérités sciemment répandues par certaines campagnes médiatiques, les acquis de la coopération UE-Afrique sont incontestables, en dépit des aménagements substantiels à faire. 

Pour lavenir, ce partenariat devra nécessairement se renforcer au regard des nouvelles options diplomatiques de Donald Trump.

​Éric Topona Mocnga, journaliste à la Deutsche Welle, à Bonn (Allemagne) 

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