Il avançait dans la vie comme un homme en mission, habité par une ferveur que peu comprenaient. Yaya Dillo Djerou, opposant farouche au régime en place, n’était pas de ces politiciens qui savent plaire. Il n’avait ni le goût des compromis, ni l’art de la séduction politique hypocrite. Trop entier, trop abrupt, il parlait avec la sincérité de ceux qui ne savent pas tricher. Il ne négociait pas, il combattait. Il n’avait pas choisi la prudence feutrée des salons politiques. Il s’était jeté dans l’arène avec la conviction des hommes qui préfèrent la vérité à la survie.
Fils du pouvoir, il est le neveu du feu maréchal Idriss Deby Itno, il aurait pu en récolter les fruits. Il était de ce monde, mais il ne s’y reconnaissait plus. À rebours des siens, il choisit la dissidence. Dans un pays où l’opposition est souvent une condamnation, il s’affirme, défiant la machine d’État, bravant les avertissements, refusant le silence. Il savait ce qu’il risquait. Mais Yaya Dillo n’était pas fait pour vivre à genoux.
Son engagement politique n’a rien d’un calcul. C’est une quête. Presque mystique. Après la mort de sa mère, tuée en 2021 lors d’un assaut des forces de sécurité contre son domicile, son combat prend une tournure plus radicale. Il marche comme on marche vers son destin, sans détours ni échappatoire. Il parle avec l’urgence de celui qui sait qu’il lui reste peu de temps. Il accuse, il dénonce, il s’expose. Il devient l’homme à abattre.
La scène politique tchadienne est une jungle où prospèrent ceux qui savent feindre, flatter, patienter. Yaya Dillo était tout l’inverse. Il portait sa parole comme un flambeau, quitte à brûler avec elle. Son courage frisait la témérité, son audace confinait à l’héroïsme. Ses adversaires le redoutaient autant qu’ils le sous-estimaient. Trop imprévisible. Trop entier. Il était de ces hommes qu’on regarde avec un mélange d’admiration et d’agacement, parce qu’ils rappellent aux autres ce qu’ils ont renoncé à être.
Il est mort comme il a vécu : en défiant. En février 2024, encerclé dans le siège de son parti, il refuse encore une fois de céder. Il tombe sous les balles, dernier acte d’une tragédie annoncée. Yaya Dillo n’était pas fait pour ce monde d’hyènes. Son sort était scellé dès l’instant où il avait choisi d’être autre chose qu’un figurant dans l’histoire du pouvoir tchadien.
Il laisse derrière lui le souvenir d’un homme qui ne savait pas plier. On dira qu’il était trop radical, qu’il aurait pu être plus habile, plus stratège. Peut-être. Mais alors, il n’aurait pas été Yaya Dillo.