Dans un pays où la parole s’impose souvent dans le tumulte et l’urgence, ceux dont l’oreille est fragile ou absente vivent en marge, dans un monde silencieux que la société oublie trop souvent. Au Tchad, être atteint d’un handicap auditif ne relève pas uniquement du domaine médical : c’est un combat quotidien pour affirmer son existence.
Combien de Tchadiens vivent aujourd’hui avec une déficience auditive ? Les statistiques manquent, mais les témoignages affluent. Écoliers abandonnés sans accompagnement, adolescents harcelés et mis à l’écart parce que « se répéter, c’est fatigant », adultes exclus du système éducatif et professionnel… Autant de récits qui dessinent une réalité douloureuse : vivre avec un handicap auditif au Tchad revient souvent à être effacé.
Là où d’autres pays ont développé des alternatives (langue des signes, lecture labiale dans les écoles), le Tchad propose encore trop souvent le silence. La marginalisation commence dès l’enfance et poursuit son œuvre tout au long de la vie : grandir sans apprendre à lire sur les lèvres, sans jamais savoir qu’il existe d’autres moyens de communiquer.
Un accès aux soins quasi inexistant
Le diagnostic précoce demeure un luxe inaccessible pour la majorité. Nombreux sont ceux dont la surdité, qu’elle soit partielle ou totale, est le résultat d’une simple pathologie mal diagnostiquée ou négligée, une situation évitable. Et lorsque le diagnostic est enfin posé, une autre épreuve commence : trouver des soins.
Quelques centres privés proposent des consultations spécialisées, mais leur accès reste hors de portée pour l’immense majorité. Les appareils auditifs, trop coûteux, demeurent un privilège. Quant aux écoles inclusives, elles sont presque inexistantes : en dehors d’un établissement à N’Djamena, le désert éducatif est total. Dans les services publics, l’absence d’interprètes en langue des signes rend la moindre démarche administrative insurmontable. Faute de soutien institutionnel, de nombreux parents n’ont d’autre choix que de condamner leur enfant à l’isolement.
Le poids du regard social
À ces carences matérielles s’ajoute un fardeau invisible : le regard des autres. Dans l’imaginaire collectif, le handicap reste souvent associé à la fatalité, voire à la honte. Pour éviter l’exclusion, nombre de personnes malentendantes se réfugient derrière une timidité extrême, parfois jusqu’à l’épuisement. D’autres se replient sur elles-mêmes, prisonnières d’un monde que personne n’a su ou voulu leur rendre accessible.
Pourtant, des solutions existent : former des interprètes, adapter les écoles, créer des espaces inclusifs, sensibiliser l’opinion publique… Ailleurs, de telles initiatives ont transformé des vies. Pourquoi pas au Tchad ?
Briser le silence
Quelques voix s’élèvent pour rallumer une lueur d’espoir. Mais leurs efforts resteront vains sans politiques publiques ambitieuses, sans reconnaissance officielle de la langue des signes, sans une réelle volonté d’inclusion.
La surdité, en soi, n’est pas une faiblesse. Ce qui handicape véritablement, c’est l’indifférence. Il est grand temps de prêter l’oreille à ceux que l’on n’entend pas, et qui, parfois, n’entendent même plus leur propre voix. Écouter les invisibles : c’est peut-être là, enfin, le premier pas vers un Tchad réellement vivant.
Sadia Ahmat Affono