Tchad : les violences contre les femmes exacerbées par un climat d’impunité

Ph LTDF

Au Tchad, le viol du 1ᵉʳ janvier 2025 a marqué l’opinion publique. La colère a été ravivée au sein des associations de défense des droits des femmes. La Ligue tchadienne des droits des femmes (LTDF) a organisé, le 4 janvier 2025, un sit-in des organisations féminines en plein cœur de la capitale tchadienne afin de dénoncer les violences faites aux femmes et les violations de leurs droits. Depuis 2016, on constate une recrudescence des « violences conjugales, des cas de harcèlement sur les jeunes filles, de cas de viols sur les mineurs, des viols collectifs… », et également « plusieurs cas de féminicides, des femmes qui se font tuer par leurs époux, des jeunes filles qui se font tuer par des hommes ». Malgré cette recrudescence, très peu de violences basées sur le genre (VBG) sont portées devant les tribunaux et peu sont condamnés. Un climat d’impunité règne au sein de la société tchadienne.

Un sentiment d’impunité

Epiphanie Dionrang, présidente de la LTDF, considère que « la culture du viol au Tchad persiste parce qu’elle trouve sa racine dans l’impunité dont bénéficient les auteurs. […] L’impunité est ce terreau fertile qui nourrit cette barbarie ». Cette impunité est le résultat de plusieurs facteurs, le premier étant que très peu de cas sont portés devant les instances judiciaires. Les victimes de VBG peuvent être découragées de porter plainte par crainte que leurs plaintes ne soient ignorées ou manipulées, parfois en échange de pots-de-vin.

Le rôle des juges est également questionné. Epiphanie déplore que « les bourreaux sont là, on les connaît, mais justice n’a jamais été faite pour les victimes. Parce que ce sont des cadres, des personnes influentes, des enfants de personnes riches parfois. La justice ne fait pas son travail. C’est l’injustice qu’on vit au quotidien ». Ce sentiment d’injustice règne au sein de la population tchadienne qui a perdu toute confiance en le système judiciaire.

Plusieurs affaires témoignent de cette passivité judiciaire. Hawariya Mahamat Abdoulaye, une jeune fille de 13 ans, a été mariée de force à Haroun Hissein, un quinquagénaire. Elle a été enlevée, violée et torturée pendant plusieurs mois en 2016 par son mari avant de réussir à fuir. Réfugiée à N’Djamena, elle trouve le courage de porter plainte avec le soutien d’une partie de sa famille. Cependant, au tribunal, son ex-mari fut relaxé des faits qui lui étaient reprochés. Il aurait versé la somme de 6 millions de francs CFA (un peu plus de 9000 euros) de pots-de-vin aux magistrats chargés de juger l’affaire. Hawariya a fait appel à cette décision. En 2018, Haroun Hissein est finalement condamné en appel à seulement un an de prison et une amende pour « séquestration et enlèvement de mineure ».

L’affaire du viol collectif de Zouhoura en 2016 s’est achevée d’une façon similaire. Les 7 adolescents qui ont violé la jeune fille étaient des enfants de dignitaires. En 2016, quelques semaines avant l’élection présidentielle, l’affaire fait scandale. La justice tchadienne condamne les 7 violeurs à 10 ans de prison, mais ils n’en feront aucune.

Des lois inappliquées

Epiphanie considère que le Tchad dispose de « lois qui protègent les femmes. Mais c’est la question de l’applicabilité de ces textes qui reste vraiment un grand défi. […] Si vraiment les lois sont appliquées, je pense qu’on va mettre fin à ces violences faites aux femmes et aux filles ».

Le droit tchadien protège en effet les droits des femmes. La Constitution de la République du Tchad du 17 décembre 2023 en est l’un des garants. La Constitution est considérée comme la règle la plus élevée de l’ordre juridique interne. Son titre II intitulé « des libertés, des droits fondamentaux et des devoirs » traite des droits et libertés garantis aux Tchadiens sans distinction de sexe. Ses articles 13, 14 et 15 consacrent l’égalité et font obligation à l’État de veiller à l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. L’article 18, quant à lui, consacre l’inviolabilité de l’intégrité physique humaine.

Le Tchad a ratifié plusieurs conventions internationales dont la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) de 1979. Mais aussi le Pacte International relatif aux droits civils et politiques et le Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, ainsi que la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de 1981.

Les violences faites aux femmes au Tchad sont aggravées par un climat d’impunité, une passivité judiciaire persistante et un dualisme juridique qui oppose le droit moderne et les coutumes patriarcales. Bien que des lois existent pour protéger les droits des femmes, leur application reste insuffisante, ce qui permet aux auteurs de violences de rester souvent impunis.

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