Le changement climatique est de plus en plus une réalité au Tchad. Entre sécheresse et inondations et pluies torrentielles, les Tchadiens ressentent fortement les premiers effets du changement climatique. Les plus touchés parmi les Tchadiens seraient les Peuhls ou « Mbororos », ce peuple nomade.
Avenue Maldom Bada de N’Djamena, il est 9 heures passées. Entre les embouteillages, les bruits de Klaxons et des ndjamenois pressés de joindre leurs lieux de travail, des nouvelles têtes sont visibles : il s’agit des Peuhls. Ces derniers sont facilement reconnaissables par leurs accoutrements.
À l’avenue Maldom Bada comme à l’avenue Charles de Gaulle, ces « Mbororos » constitués uniquement des femmes et des enfants, ces nouveaux arrivants ont un seul travail : tendre la main faute de sébile, mendier tout au long de la journée pour espérer gagner sa pitance journalière. Mais, voir les « Mbororos » mendier, c’est un phénomène nouveau que nous sommes allés chercher les causes.
Ils ont tout perdu
Hindou Oumarou, présidente de l’Association des Femmes Peuhls et Peuples Autochtones du Tchad (AFPPAT) et défenseure de droits des peuls a décidé de nous répondre. Pour elle, ce phénomène de « Mbororos » mendiants a commencé depuis au moins deux ans à Mongo dans le centre du Tchad. Quant aux origines, elle souligne un seul point : les effets des changements climatiques obligeants ces peuples nomades à se sédentariser à N’Djamena et ses alentours car « ils ont tout perdu ». Où ? « entre les sécheresses, les inondations et les conflits qu’engendre le changement climatique », nous répond Hindou Oumarou. « Les inondations et les sécheresses font successivement soit pourrir ou assécher les pâturages. Les ressources en eaux deviennent également rares ou incontrôlables », ajoute-t-elle. Cela entraînera la perte des troupeaux, seule richesse à laquelle dépendent les « Mbororos ».
Sans troupeaux, les « Mbororos » se livrent à l’exode et principalement vers la capitale. « Cette migration climatique interne concerne les femmes et les enfants. Les hommes, eux migrent vers l’extérieur », nous fait savoir Hindou Oumarou.
Pour mieux comprendre cette situation, nous avons fait une descente dans un endroit transformé en camp par un groupe de Mbororos. Situé au quartier Diguel non-loin de l’Hôpital de l’Amitié Tchad-Chine, ce camp loge une vingtaine de familles qui se retrouvent dans des campements de fortune. Le décor fait de saleté, puanteur et des herbes poussant aux alentours, le décor est frappant. Nous sommes accueillis par les rares hommes qui se trouvent dans le camp. Ils ont accepté de se livrer à nous. Mais ils nient tous l’idée des femmes et enfants Mbororos mendiant du moins celles de leur camp.
Nous avons sollicité interviewer des femmes du camp. Quatre d’entre elles se joindront à nous quelques minutes plus tard à notre discussion. Parmi elles, la plus jeune, à peine la vingtaine révolue, mère de deux enfants, répond aux questions que notre interprète lui adresse. Elle a reconnu qu’ « il arrive que les enfants se livrent à la mendicité, mais jamais les grandes personnes ».
Ayant constaté que ces questions sur la mendicité sont gênantes, nous avons essayé de nous imprégner des conditions de vies. Catastrophique est le mot adéquat pour qualifier leur vie dans ce camp. « Depuis le matin, aucun foyer n’a allumé du feu pour préparer de quoi manger, ne serait-ce que pour les enfants », confesse la jeune femme. Dans son regard, on pourrait lire un appel à l’aide et une supplication, car dans ce lieu, aucune autorité n’est passée, aucune organisation n’a fait une action sauf le Tabital Pulaaku, une association qui réunit tous les peuhls du Tchad. Cette dernière à deux reprises leur a distribué une centaine de sacs de vivres.
Partir de cet endroit plein de puanteur…
Nous nous retournons vers Hindou Oumarou pour avoir une idée sur les actions qui sont en train d’être menée pour éradiquer ce phénomène nouveau. Elle nous témoigne qu’avec son association l’AFPPAT, un travail est en train d’être mené pour ramener les « Mbororos » là où ils étaient avant ces exodes. Pour cela, une cartographie est en cours d’élaboration au sud du pays et dans la province du Lac Tchad. Au sud, la cartographie a permis de tracer les lignes de transhumance, mais aussi les terrains de campement de ces communautés nomades. Hindou explique que cette nouvelle cartographie se particularise par l’octroi aux femmes « les droits à la terre » en guise de leur autonomisation. Hindou Oumarou a montré que cet octroi leur permettra de « faire de l’agriculture hors saison et où on a mis quelques points d’eau où elles pourront cultiver des cultures basées sur leurs savoirs traditionnels ».
Le projet de Hindou n’a à présent attiré aucun bailleur. Entre temps, ne sachant à quel saint se vouer, femmes et enfants ne désertent plus les rues de N’Djamena et continuent de mendier pour vivre. De ce fait, des campagnes de sensibilisation ont été faites par son association dans les villes où ce phénomène est constaté.
Mais les « Mbororos » ne veulent pas faire de la mendicité une source de revenus. « Tout ce qu’on veut, c’est de partir, partir de cet endroit plein de puanteur », tel est le souhait d’Issa, le porte-parole du camp.