Le 16 mai 2025, à l’aube, Masra Succès, ancien Premier ministre et leader du parti Les Transformateurs, est arrêté à son domicile de Chagoua, à N’Djamena. Officiellement, il est accusé d’incitation à la haine ethnique et de complicité dans le massacre intercommunautaire de Mandakaou, qui a fait 38 morts dans le Logone Occidental. Mais l’affaire divise profondément l’opinion publique.
Le 14 mai, le village de Mandakaou, théâtre de tensions foncières latentes, est secoué par des violences meurtrières. Officiellement, le gouvernement pointe un enregistrement audio en langue Ngambaye, diffusé sur les réseaux sociaux, comme élément déclencheur. Selon le ministre de l’Administration du territoire, Limane Mahamat, cet audio constitue un appel à la haine, incitant un jeune à « venir faire son agriculture dans le ferrick », en territoire d’éleveurs.
Le ministre de la Sécurité publique, Ali Ahmat Akhabach, affirme de son côté que « c’est un programme organisé. Le village et le ferrick sont distants de 30 mètres. Ces communautés vivent ensemble depuis un siècle. Ce massacre était planifié ». La version officielle parle donc d’un acte prémédité, exécuté de manière méthodique, et dont l’audio attribué à Masra serait la pièce maîtresse. C’est cette hypothèse qui a conduit à son interpellation.
L’enregistrement en question a été massivement partagé sur les réseaux sociaux. Toutefois, aucune expertise technique indépendante n’a, à ce jour, confirmé que la voix soit bien celle de Masra Succès. Dans ses publications entre le 12 et le 15 mai, le leader politique évoquait plutôt la « fin de l’impunité » et appelait à un « dialogue sincère ».
Selon plusieurs militants du parti Les Transformateurs, l’enregistrement sonore diffusé dans lequel une voix attribuée à Masra appelle à la résistance armée serait bel et bien celle de leur président. Toutefois, ils soutiennent que cet audio ne daterait pas de 2025 comme avancé par les autorités, mais plutôt du 23 mai 2021, dans un contexte politique totalement différent.
Cette ambiguïté alimente les doutes. Pourquoi une arrestation aussi rapide, sans confrontation ni convocation préalable ? Le procureur n’a fourni aucun élément matériel probant. Le gouvernement, lui, reste droit dans ses bottes : « Masra est un citoyen judiciable comme tout autre », déclare Gassim Cherif Mahamat, ministre de la Communication, porte-parole du Gouvernement.
L’arrestation du principal opposant apparaît, pour plusieurs figures politiques, comme un acte de répression politique maquillé en affaire judiciaire. Avocksouma Djona, président du parti Les Démocrates et membre du GCAP, ne mâche pas ses mots : « A-t-il été convoqué ? Jugé ? Où est la présomption d’innocence ? On arrête un ancien Premier ministre comme un voleur. »
Pour Avocksouma Djona, « les conflits éleveurs-agriculteurs sont alimentés par ceux qui nous gouvernent. Tout est lié à la mal gouvernance. Masra n’a pas sa place en prison ». De son côté, la plateforme Wakit Tamma y voit un nouvel échec de l’État à protéger ses citoyens et à prévenir les conflits récurrents dans le sud.
Pour les partisans du pouvoir, l’arrestation est une réponse normale à un crime de masse, qui mérite d’être jugé devant les tribunaux. Pour l’opposition et de nombreux observateurs, c’est une stratégie d’étouffement politique qui rappelle les pratiques autoritaires du passé. Au-delà du sort de Masra Succès, l’affaire révèle une fragilité inquiétante des institutions. L’appareil judiciaire est perçu par une large frange de l’opinion comme partisan, tandis que les tensions communautaires ne cessent de croître.
Alors que les familles de Mandakaou pleurent leurs morts, la justice est attendue au tournant. Si elle veut se montrer crédible, elle devra présenter des preuves irréfutables ou relâcher un homme dont l’arrestation commence à apparaître comme un symbole d’injustice politique.