Tchad : l’accord de Kinshasa apprécié par les uns, fustigé par les autres

La première semaine de novembre 2023 est marquée par la signature de l’accord de principe signé à Kinshasa sous l’égide du président congolais, Félix Antoine Tshisekedi. Il a été conclu pour le retour au pays du président du parti Les Transformateurs, Succès Masra et ses militants. Mais, ce processus semble être rejeté par plusieurs partis politiques de l’opposition.

Il a fallu une année après la répression sanglante des manifestations contre la deuxième phase de la Transition, survenue le 20 octobre 2022 dans quelques villes du Tchad, qu’un accord soit signé entre le gouvernement d’union nationale et le parti Les Transformateurs. Etant hors du pays, Succès Masra a entamé une série de consultations diplomatiques dans différents pays afin d’obtenir justice pour la répression et les persécutions de toutes les personnes impliquées.

Au cours de ces démarches, c’est le président de la République Démocratique du Congo, Felix Antoine Tshisekedi qui a été choisi par la CEEAC (Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale), pour le rôle de facilitateur dans cette crise Tchado-tchadienne. Cela a permis d’aboutir à la signature de l’accord de Kinshasa. Un accord de principe qui a atterri comme une surprise sur l’actualité politique au Tchad, mesurant le bras de fer entre les dirigeants de la Transition et le leader du parti Les Transformateurs.

Le ministre de la réconciliation nationale, Abderamane Koulamallah a signifié sur sa page officielle que : « l’accord signé à Kinshasa n’est pas destiné à régler le sort d’une personne, mais plutôt à servir le Tchad. Depuis fort longtemps, le président Mahamat Idriss Déby a toujours envisagé la perspective de l’histoire d’un point de vue bien plus large que son propre destin, et c’est lui-même qui a initié et porté l’accord de Kinshasa ».

Toutefois, il rajoute que lui et son collègue, le ministre Aziz Mahamat Saleh n’ont été que les exécutants d’une politique visant à réconcilier et à unir la nation tchadienne pendant cette période si cruciale de la transition. « Il est impératif à présent de bâtir notre nation dans l’unité de tous ses citoyens et de partager les valeurs de démocratie, de liberté et de fraternité. Les défis sont nombreux, et nous ne sommes qu’au début de cette mission de construction de cet État moderne, inclusif et réconcilié ! Dieu protège notre pays ».

Succes Masra s’est engagé

Au nom de son parti, Les Transformateurs, Succès Masra connu pour son opposition titanesque, s’est impliqué dans cet accord en vue de continuer le dialogue avec le gouvernement de transition, après son retour au Tchad. Le but est d’arriver à une solution globale, pacifique, impliquant tous les acteurs non inclus dans le processus de transition actuelle. En tant que président du parti « Les Transformateurs » il s’est engagé à œuvrer dans le sens de privilégier les actions facilitant le retour à l’ordre constitutionnel dans le délai imparti ; respecter les lois et libertés garanties par l’ordonnancement juridique du Tchad aux citoyens et partis politiques et à œuvrer pour l’unité nationale. Enfin, il œuvrera pour un climat politique apaisé en privilégiant la concorde sociale et l’appel à l’unité nationale, à la justice et à l’égalité, en évitant toute forme d’action violente et prendre en compte la Charte révisée et les efforts du gouvernement de transition, notamment le calendrier de retour à l’ordre constitutionnel.

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En souhaitant un bon retour à Succès Masra qu’il a mentionné affectueusement sur ses réseaux sociaux ‘’Mon frère’’, le président de Transition Mahamat Idriss Deby Itno s’est réjoui de l’obtention de cet accord et a indiqué que le Tchad a constamment besoin de l’apport de l’ensemble de ses fils et filles.

Nous sommes tous appelés à transcender tout ce qui nous divise pour agir dans la complémentarité, la paix, l’unité, la fraternité et le dialogue pour le progrès de notre pays. Dans notre pays, chacun de nous a toute sa place à occuper et a tout son rôle à jouer dans la quête collective et constante d’un avenir radieux pour nous-mêmes et pour les générations futures. Personne n’est de trop dans notre vaste et beau pays.

Mahamat Idriss Deby Itno, Président de transition.

L’opinion publique s’enflamme autour de l’accord Kinshasa

Pendant que plusieurs partis proches ou impliqués dans le processus de la transition ont apprécié cet accord et estiment que cette phase marque une étape cruciale dans le processus de la réconciliation nationale et la refondation du Tchad, quelques leaders impliqués dans les manifestations du 20 octobre 2022 semblent se désolidariser du parti Les Transformateurs et de son Président Succès Masra, après la signature de cet accord de principe.

Yaya Dillo Djerou Betchi, président du parti PSF (Parti Socialiste sans Frontières) n’a pas manqué d’apporter ses critiques sur le contenu de l’accord. Sur sa page Facebook, il se dit être « désolé qu’un parti politique se permette de parler à la place des victimes et de tous les acteurs. Cet accord qui blanchit les auteurs de la répression du 20 octobre 2022 n’engage que les signataires. Nous continuerons la lutte jusqu’à l’obtention de la justice pour toutes les victimes et l’instauration de la démocratie ».

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Sur les réseaux sociaux plusieurs figures politiques n’ont pas manqué de situer leurs positions après la publication du contenu de l’accord. Dans un commentaire sous une publication évoquant un vide juridique sur la question de loi d’amnistie pour tous les acteurs impliqués dans les manifestations , Yombatim Sitack a tenté de recadrer un internaute en défendant que : « même un étudiant en première année de droit sait qu’on amnistie que quand on a identifié, condamné et gracié. Même Succès ne peut pas être amnistié parce qu’il n’a jamais été condamné. C’est un débat puérile et sans objet. Même un non juriste sait que les crimes contre l’humanité ne se prescrivent jamais. 20, 30 ans, on peut toujours poursuivre. Un accord politique fût-il de principe n’empêche à aucune juridiction de poursuivre les crimes contre l’humanité. Il faut bien relire l’accord sans passion, sans haine, sans hypocrisie ».

Me Max Loalngar, l’un des leaders de la coalition des partis politiques et des organisations de la société civile aussi en exil a balayé les arguments du vice-président des Transformateurs d’une main en disant : « c’est entièrement faux. Il n’y a pas de grâce sans condamnation. Mais l’amnistie dont le mobile est souvent politique peut intervenir à tout moment. C’est pour cela que la formalisation est une loi. Nul n’est au-dessus de la loi, même le juge. Et ça c’est élémentaire ». Il faut reconnaitre que cette mention dans l’accord de l’amnistie à intervenir en novembre, sans aucune procédure judiciaire et sans une enquête transparente préalable, est une bourde, a-t-il ajouté.

De toutes ces sorties, l’on peut en déduire que la question qui divise ces leaders de l’opposition se situe autour de la loi d’amnistie générale pour tous les acteurs civils et militaires impliqués dans les évènements douloureux du 20 octobre 2022.

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