Succès Masra et Les Transformateurs : l’illusion du renouveau dans un système inflexible

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Depuis 2018, Les Transformateurs, sous la houlette de Succès Masra, ont entrepris un chemin difficile pour se faire une place au cœur de la politique tchadienne. Prônant justice et égalité dans un pays où ces idéaux semblent souvent relégués au second plan, Masra a rapidement transposé son militantisme dans un cadre politique. Cependant, le parti a dû faire face à des obstacles importants. Sous la présidence du Maréchal Idriss Deby, Les Transformateurs se sont heurtés à une répression marquée, qui a longtemps entravé leur progression. Ce n’est qu’en juin 2021, après l’arrivée au pouvoir de Mahamat Idriss Déby, que le parti a enfin obtenu son agrément officiel, marquant une reconnaissance officielle et une percée symbolique dans le paysage politique.

Entre ferveur populaire et pragmatisme politique

Les Transformateurs ont su capter l’attention d’une jeunesse désillusionnée, désireuse de changement, en mettant en avant des valeurs sociales fortes et en évitant les travers affairistes des partis traditionnels. Masra, personnage clivant, se démarque par un style souvent à la limite du politiquement correct. Sa rhétorique s’inspire de Mandela, avec des références bibliques qui captivent et galvanisent son auditoire, parfois en flirtant avec le populisme. Son livre polémique, Tchad, éloge des lumières obscures, publié à l’époque d’Idriss Déby, a contribué à forger cette image de tribun populaire, bien que certains y aient vu un dangereux penchant pour l’exploitation des clivages ethniques.

En janvier 2024, après un retour d’exil facilité par un accord avec le gouvernement, Masra est nommé Premier ministre. Cependant, cette fonction s’est révélée être davantage une impasse qu’une tribune. Les rouages administratifs, dominés par les fidèles du président, lui ont laissé peu de latitude. Des informations, bien que non confirmées, évoquent un accès restreint aux finances publiques, mettant en lumière une position de plus en plus précarisée. Son incapacité à faire progresser l’enquête sur les événements du 20 octobre, dont la répression brutale avait exacerbé les tensions, a déçu de nombreux partisans, qui attendaient de sa part un geste fort en faveur de la justice et de la transparence.

Une défaite électorale cuisante et des lendemains incertains

La présidentielle de mai 2024 devait être son moment de vérité. Avec 18,5 % des suffrages, Masra a montré une réelle capacité de mobilisation, surtout dans son fief du Sud, mais n’a pas réussi à s’imposer comme une alternative crédible au pouvoir en place. Ce revers a laissé un goût amer, d’autant plus que sa déclaration prématurée de victoire a fait naître des doutes sur sa capacité à lire les réalités politiques du moment. L’après-élection marque un retour discret à l’opposition. Ses critiques se font désormais plus modérées, laissant planer le doute sur sa volonté de continuer la lutte avec la même véhémence.

Entre incertitudes et potentiel de renouveau

Succès Masra incarne une forme de modernité politique, mais son parcours reste marqué par des zones d’ombre et des interrogations sur sa constance idéologique. Son soutien aux forces de l’ordre lors de la mort de Yaya Dillo, qui a surpris et choqué son propre camp, laisse transparaître une ambivalence qui divise. La persistance de son influence, particulièrement auprès des jeunes, demeure l’atout majeur des Transformateurs, même si son retour en grâce reste hypothétique.

À l’aube de cette nouvelle phase, Masra et Les Transformateurs se retrouvent à un carrefour décisif : rester fidèles à leur vocation de contestataires ou bien s’intégrer dans un système qu’ils ont longtemps combattu. Le défi pour ce parti sera de maintenir sa crédibilité tout en ajustant ses stratégies aux réalités d’une politique tchadienne en constante mutation. La question reste ouverte : les Transformateurs pourront-ils un jour véritablement transformer le Tchad, ou resteront-ils un mouvement de protestation impuissant face à un régime solidement ancré ?

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