Depuis 1960, les relations entre la France et le pays de Toumai sont au cœur d’une coopération militaire dense, structurée par une série d’accords de défense. Ces textes, qui ont traversé les décennies, mêlent clauses officielles et dispositions plus discrètes, et ont permis à la France de maintenir une présence stratégique dans ce pays du Sahel. Mais qu’y a-t-il réellement dans ces accords ? Que révèlent-ils sur la nature de cette alliance et sur les priorités de chaque partie ?
Des accords initiaux marqués par l’après-indépendance
Les premiers accords de défense entre la France et le Tchad sont signés en août 1960, au lendemain de l’indépendance. Ces accords bilatéraux s’inscrivent dans une stratégie française visant à préserver son influence en Afrique tout en assurant la sécurité des jeunes États. Parmi leurs principales dispositions :
- Assistance militaire mutuelle : Paris s’engage à défendre le Tchad en cas de menace extérieure ;
- Stationnement des troupes françaises : Des bases militaires, notamment à N’Djamena, sont mises à disposition pour les interventions rapides : Conseil de défense de l’Afrique équatooriale : Un mécanisme quadripartite lie la France, le Tchad, le Congo et la Centrafrique dans une stratégie de défense commune ;
- Maintien de l’ordre : Une convention secrète de 1961 autorise des interventions françaises en cas de trouble internes, souvent pour soutenir les régimes en place.
Ces accords, renforcés par des opérations comme Limousin (1969) ou Épervier (1986-2014), montrent une volonté française de sécuriser ses intérêts dans une région marquée par des insurrections (Frolinat) et des conflits transfrontaliers (Guerre Tchado-libyenne). Pourtant, certaines clauses, non publiées au Journal Officiel, ont alimenté les critiques, accusant la France de servir avant tout ses propres intérêts.
La révision de 2019 : vers une coopération modernisée
En septembre 2019, les accords de défense sont revisités pour répondre aux nouveaux défis sécuritaires et aux besoins croissants du Tchad. Cette refonte introduit six conventions bilatérales visant à moderniser la coopération militaire. Ces textes abordent :
- Le commandement et l’organisation : Renforcement des structures militaires tchadiennes pour une meilleure autonomie opérationnelle ;
- La logistique et la maintenance : Optimisation des capacités locales pour entretenir le matériel et réduire la dépendance vis-à-vis de la France ;
- La formation : Création de programmes pour les jeunes cadres militaires et réinsertion des militaires dans la vie civile ;
- Le renseignement : Développement des capacités de collecte et d’analyse des informations stratégiques ;
- La sécurité régionale : Un accent particulier est mis sur la Garde nationale nomade, chargée de surveiller les zones frontalières sensibles.
Ces révisions marquent une tentative de rééquilibrage de la relation, avec une ambition affichée de rendre le Tchad moins dépendant de l’appui militaire français. Toutefois, dans les faits, cette dépendance reste forte, notamment pour des opérations régionales comme Barkhane, qui utilise toujours la base d’Adji Kosseï.
Une rupture en 2024 : redéfinir les alliances
En novembre 2024, le Tchad a annoncé la résiliation de ses accords de défense avec la France, mettant fin à plus de six décennies de coopération institutionnalisée. Cette décision reflète une volonté politique claire : affirmer la souveraineté nationale et diversifier les partenariats militaires. Ce repositionnement stratégique s’inscrit dans un contexte où plusieurs pays africains, notamment au Sahel, remettent en cause leur dépendance vis-à-vis de Paris.
Cette rupture n’est cependant pas isolée. Début 2024, le Tchad, par un communiqué laconique, a exigé le départ de 75 forces spéciales américaines stationnées sur la même base d’Adji Kosseï, invoquant des irrégularités dans les documents autorisant leur présence. Dans le même temps, N’Djamena a signé un nouvel accord militaire avec la Hongrie, bien que le déploiement des troupes hongroises reste en attente.
Ce que révèlent les accords
Les accords de défense franco-tchadiens, souvent enveloppés de discrétion, révèlent une coopération complexe mêlant assistance militaire, ingérence stratégique et protection des intérêts français. Si les révisions de 2019 témoignaient d’une volonté d’adaptation aux enjeux contemporains, leur résiliation en 2024 illustre une évolution des priorités tchadiennes, entre recherche d’autonomie et ouverture à de nouveaux partenaires.
Cette histoire reflète aussi les ambiguïtés des relations entre une ancienne puissance coloniale et un État africain. Alors que le Tchad réécrit sa stratégie de défense, la question reste ouverte : ces nouvelles alliances suffiront-elles à combler le vide laissé par la France, ou ce repositionnement renforcera-t-il les défis sécuritaires dans une région déjà fragile ? Les réponses, pour l’instant, se trouvent dans les clauses non écrites de ces nouvelles relations.