Parc national de Zah Soo : le vif conflit homme-faune pour les agriculteurs

General view of the Gauthiot Falls, also called Zah Soo Falls, located in the heart of the Zah Soo National Park, on June 10, 2024. - Between the orange trunks of the acacia trees of the savannah, a herd of around twenty elephants, their skin darkened by the pouring rain, progresses peacefully in the Zah Soo national park, a protected area in south-west Chad. (Photo by Joris Bolomey / AFP)

Entre les troncs orangés des acacias de la savane, un troupeau d’une vingtaine d’éléphants, la peau brunie par la pluie battante, progresse paisiblement dans le parc national de Zah Soo, une zone protégée pour lutter contre le braconnage et la pression pastorale dans le sud-ouest du Tchad.

« Il y a autant de juvéniles que d’adultes », se réjouit Belfort Assia Blanga, chef de section de la Garde forestière et faunique (GFF), mains sur sa kalachnikov en bandoulière : « la reproduction montre qu’ils se sentent désormais en sécurité ». Ces mots sonnent comme une victoire après le massacre de 113 de ces pachydermes entre 2013 et 2019. Le parc, au cœur de la région du Mayo-Kebbi Ouest, accueille désormais la troisième population du pays avec 125 éléphants.

Toute présence humaine y est proscrite hormis celle, discrète, des gardes de ce parc de 815 km² né d’un partenariat de 15 ans entre le gouvernement et l’ONG française de sauvegarde de la biodiversité Noé. Soutenu par l’Agence française de développement (AFD) avec 8 millions d’euros jusqu’en 2026, et par l’Union européenne avec plus de 300.000 euros.

Depuis le déploiement de la GFF, aucun éléphant n’a été braconné malgré son manque de moyens, « de munitions » et des « armes usées », selon M. Assia Blanga. Pour autant, d’autres espèces restent illégalement chassées.

« Les villageois et les agropasteurs ciblent principalement les hippotragues noirs », une espèce d’antilope, déplore Lambert Worgue Yemye, directeur adjoint du complexe d’aires protégées de Binder-Léré.

Pastoralisme

Au-delà du braconnage, les gardes bataillent aussi contre le pastoralisme dans le parc. L’élevage de bœufs est l’activité économique principale dans le Mayo-Kebbi Ouest. Et la transhumance de grands et petits ruminants, en provenance du Cameroun, du Niger et du Nigeria voisins, a un impact dévastateur sur la biodiversité à Zah Soo, selon Noé. « Le bétail broute tout ce qu’il peut trouver sans soulever la tête », précise Lambert Worgue Yemye. « Lors de leur passage, ils détruisent également la flore en la piétinant ».

Depuis l’année dernière, le parc expérimente la mise en fourrière administrative des troupeaux en divagation. Ils sont restitués aux éleveurs après une amende. Plus de 2.600 têtes ont ainsi été conduites dans les huit fourrières installées dans les préfectures limitrophes du parc.

Sensibilisation et répression ont permis de réduire leur présence, passant de 23.500 animaux en septembre 2022 à 9.005 un an plus tard, selon Noé. Mais elles ont soulevé le mécontentement des éleveurs. « Lors de la consultation avant la création du parc, on nous a présenté ses avantages, mais pas les inconvénients », accuse Saidou Alyoum, 36 ans, représentant des éleveurs du Mayo-Binder. « Le parc de Zah Soo déborde des frontières de la réserve de Binder-Léré en vigueur depuis 50 ans. Nous recommandons à Noé et à l’Etat de réduire le parc ».

En l’absence de compromis, les éleveurs menacent d’aller s’installer au Cameroun. Aucune réduction du parc n’est envisageable, rétorque Noé. « Nous avions fait une consultation publique avant sa création et la majorité des signataires avait validé sa délimitation », se défend Lambert Worgue Yemye.

Compensation

« Certains chefs de village qui ont signé les documents reviennent ensuite sur leur décision », dénonce sous couvert d’anonymat une autorité locale qui accuse : « Ils poussent la population à critiquer le parc, car certains font payer des taxes aux éleveurs transhumants étrangers pour traverser le territoire ». « La perte de pâturage pour les éleveurs a également accentué les conflits entre éleveurs et cultivateurs », complète Mamadou Houssein, 60 ans, chef du quartier Tchofol II, à Binder.

Les combats entre communautés de cultivateurs sédentaires et d’éleveurs nomades, qui font divaguer et paître leurs troupeaux sur leurs terres, font régulièrement des morts, y compris femmes et enfants, dans les quatre pays de cette région sahélienne. Selon M. Houssein, les troupeaux d’éléphants, protégés, ravagent aussi ses récoltes. « C’est au gouvernement de nous dédommager, mais il ne fait rien », accuse-t-il. « Nous aimerions que l’indemnisation passe directement par Noé, nous avons davantage confiance en eux qu’en l’Etat tchadien pour régler ce problème », réclame le fermier.

Noé annonce qu’en compensation des pâturages perdus, elle fournira du fourrage et prévoit de creuser quatre premières mares pour le bétail. L’ONG mène également des actions pour l’amélioration des conditions de vie des villageois autour du parc, comme la réhabilitation d’un château d’eau à Binder ou la réfection de routes.

Elle mise aussi sur le développement de filières durables génératrices de revenus avec de premiers projets en apiculture ou dans l’extraction d’huile de savonnier. Mais le pari de Noé de développer à terme l’attractivité touristique du Mayo-Kebbi Ouest, grâce à Zah Soo, est encore incertain dans cette région en proie à l’insécurité.

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