Dans les ruelles des quartiers, dès que la nuit tombe, un phénomène culinaire prend vie. Des femmes, armées de marmites fumantes et de recettes familiales, transforment les coins de rue en véritables restaurants à ciel ouvert. Jeunes mariés, célibataires, et même des femmes s’y pressent pour un moment de partage autour d’une assiette. Une tradition urbaine qui transcende les âges et les statuts sociaux.
Lorsque le soleil disparaît à l’horizon, les rues des quartiers de N’Djamena s’illuminent d’une vie particulière. Non pas par des enseignes lumineuses ou des fêtes, mais par une effervescence qui a l’odeur de la sauce d’oseille, de la soupe de poisson ou viande, de la bouillie et parfois de la boule. Ces lieux, souvent modestes, sont tenus par des femmes entrepreneuses qui cuisinent dans des coins de rue ou à l’abri d’une véranda.
Dans ces « restaurants de rue » plus connus sur l’appellation « tourne-dos », il n’y a ni menu sophistiqué ni réservation. L’offre est simple : des plats copieux, à prix abordables, servis avec un sourire chaleureux. Pourtant, le succès est phénoménal. « Ici, c’est comme à la maison, mais sans les corvées de vaisselle », plaisante Idriss, un jeune marié de 29 ans. Pour lui et beaucoup d’autres, c’est une solution pratique pour pallier les contraintes de la vie moderne.
Les célibataires, eux, y trouvent un refuge. « Après une longue journée de travail, je n’ai pas la force de cuisiner. Ici, je mange bien et je rencontre des amis », explique Fadi, 25 ans, accoudé à une table. La clientèle féminine n’est pas en reste. « Quand je sors de ma boutique tard le soir, je passe ici pour manger un bon plat avant de rentrer », confie Aminata, commerçante.
Au-delà de l’aspect culinaire, ces espaces jouent un rôle social clé. Ils sont des lieux d’échange et de convivialité où les barrières sociales tombent. Peu importe que l’on soit ouvrier, étudiant ou cadre, chacun partage la même table et les mêmes mets.
Cependant, derrière ce succès se cachent des défis. Ces femmes cuisinières travaillent souvent dans des conditions précaires, sans protection sociale ni main d’œuvre. « Je commence à cuisiner dès l’après-midi, et je finis très tard. Mais c’est la seule façon de nourrir ma famille », confie Mariam, une des pionnières de ce phénomène.
Face à cette réalité, des initiatives doivent être de mise pour valoriser ce commerce informel, notamment en offrant des formations ou en facilitant l’accès à des espaces adaptés. Car au-delà de nourrir les corps, ces femmes nourrissent aussi l’âme des quartiers.
Quand la nuit s’éteint, les marmites se ferment, mais les souvenirs des saveurs et des discussions restent gravés. Ces « repas des recoins » rappellent que, parfois, ce sont les petites traditions qui tissent les grands liens.
Ousmal Jumelia