À Diguel, quartier situé à la sortie Nord-Est de la ville de N’Djamena, une usine à ciel ouvert existant depuis 1963 emprunte son nom à cette localité, Diguel tanneur. De loin l’engouement qui se dégage autour de cette activité, la tannerie, ne laisse aucun passant indifférent. Entre la quantité de peaux stockées, les conditions de travail déplorables et le nombre de jeunes employés dans ce centre, l’attention est encore plus retenue. En immersion, nous avons suivi le processus de la transformation de la peau en cuir made in Chad.
Ce soir du lundi 19 février, nous sommes accueillis à la tannerie de Diguel par une dizaine de jeunes immergés dans le chargement d’un camion de peaux d’animaux en partance vers le Nigéria et d’autres pays d’Afrique de l’Ouest. Après les salutations, place à la visite de ce premier centre de ravitaillement en cuir. Dans ce local, environ 200 personnes, majoritairement jeunes, chaussées de bottes et de plastiques noirs attachés aux mains leur servant de gants, exécutent avec enthousiasme leurs tâches.
Ils travaillent sans gêne sur la peau, comme matière première. Après extraction dans les cinq aires d’abattage que compte la cité capitale, les peaux sont déportées, ici à Diguel tanneur, pour la transformation. « Avec nos motos, nous allons nous-mêmes chercher les peaux, pour les ramener ici à la tannerie », confie Abdoulaye, de retour de l’abattoir.
Dans une trentaine de fosses déjà aménagées, sont mises les peaux brutes pour le blanchissage. Après deux jours, on y ajoute du natron, mélangé au carbure, pour faciliter le nettoyage des poils. « Je vais envoyer ces peaux de l’autre côté pour le nettoyage des poils. Mon travail, c’est de les tremper dans ce mélange de produits », explique Ali.
Après cette étape, c’est le nettoyage des petits poils et des saletés. « Les peaux sont remises dans d’autres fosses destinées pour ce travail. Cette fois-ci, c’est dans un mélange de fientes d’oiseaux avec de l’eau que les peaux sont trempées pour 24 heures. Dans ce mélange, on y ajoute du pétrole pour dégager l’odeur de fientes d’oiseaux », nous renseigne Moussa. « C’est ici que s’effectue le premier tannage des peaux. Il consiste à enlever la chaire, permettant ainsi de les assouplir, pour laisser pénétrer le produit, qui facilitera le second tannage », poursuit Hassan.
Il s’agit d’un mélange de grains d’acacia et de l’eau. Dans ce centre, plus de quatre sacs de grains d’acacia sont moulus par jour ou pilés au mortier. « Moi, par jour, je peux tanner 300 peaux, voire plus, malgré ces conditions. Chacun se bat à son niveau comme il peut », exprime Ali, en pleine activité de rinçage. « Après ce rinçage, je vais tremper ces peaux dans un mélange du son avec du sel et de l’eau, avant de les faire sécher. Après cela, le travail est fini », laisse-t-il entendre.
Le cuir est prêt à être exporté après le séchage et le tirage. Plus de 3 000 cuirs sont tirés par jour dans cette usine. Le cuir tanné à Diguel est vendu un peu partout sur le territoire tchadien. Ces cuirs permettent aux maroquiniers de confectionner des chaussures, des sacs, des éventails et bien d’autres objets utilitaires. Malgré ces conditions de travail précaires, ce groupe bien organisé s’évertue à transformer le cuir afin de valoriser le secteur artisanal tchadien au-delà des frontières nationales.
À cela s’ajoute les témoignages des riverains qui trouvent cette activité plutôt salissante. « Franchement, on ne néglige le travail de personne, mais celui-là est trop salissant. L’environnement dans lequel nous vivons est trop pollué au point où nous n’avons même plus de visites », martèle un voisin du centre. Dans le même sens que lui, Djiddo estime que « le travail de la transformation de la peau est un travail de rivière. C’est-à-dire qu’il faut beaucoup d’eau. Or, ce n’est pas ce qui se passe ici ».
Serait-ce la raison pour laquelle le cuir travaillé vaut plus que l’animal vivant ? La question reste encore posée.