Il portait toujours le djallabié, même au sommet de l’État. Un vêtement sahélien, ample et modeste, presque anachronique sous les ors des palais présidentiels. Mais c’est dans cette silhouette modeste et authentique, familière à tous les Tchadiens, que résidait une part de sa vérité. Car avant d’être chef d’État, Idriss Déby Itno fut un soldat. Et jusqu’au bout, il n’a jamais cessé d’en être un.
Il y a quatre ans, le 20 avril 2021, le Tchad apprenait au petit matin que le maréchal Idriss Déby était tombé sur le champ de bataille, dans le Kanem, en affrontant une colonne rebelle. Mort comme il avait vécu : en uniforme, entre ses hommes, loin du confort des palais. Une fin romanesque, presque trop parfaite, comme sortie d’un vieux chant sahélien. Une fin qu’il avait prophétisée sans le savoir : « On dira peut-être un jour qu’Idriss est mort sur le champ de bataille. Mais on ne dira jamais qu’il a été capturé ou fait prisonnier. Mon honneur de général de l’armée du Tchad me l’interdit. »
Il n’était pas un aventurier, disait-il. Ni un guerrier, malgré ce que l’histoire retiendra. Il était un homme né pour se battre sans l’avoir choisi. « Je suis devenu soldat contre l’avis du proviseur de mon lycée, qui me voyait devenir médecin », confiait-il. Bac D en poche, il choisit les armes. Formé en France, pilote de chasse, stratège aguerri, il connut le feu bien avant de connaître le pouvoir.
C’est dans les années 80, au côté de Hissein Habre qu’il se forgea. Il en garda du plomb dans le corps et des fantômes dans la tête. « Des fois, la nuit, je me réveille et je vois les morts des combats d’il y a vingt ou trente ans », disait-il. Car derrière la stature, il y avait les blessures. Celles qu’on ne montre pas, celles qu’on n’applaudit pas.
Il disait haïr la guerre. Il avait vu mourir ses hommes, et dix-sept de ses frères. « S’il y a un perdant dans tout cela, c’est d’abord ma famille », confessait-il, presque honteux d’être resté debout quand tant d’autres étaient tombés. Il parlait rarement de lui, mais quand il le faisait, c’était avec une forme de lucidité tragique : « Je ne suis pas un guerrier, je suis un homme seul. »
En 1990, il prend le pouvoir, renverse Hissène Habré, et entre dans l’histoire. Il ne l’avait pas rêvé, disait-il, mais il l’assumait comme un devoir : « J’ai pris le pouvoir pour sauver le Tchad du chaos. » Pendant trente ans, il a tenu bon dans un pays fracturé, fragile, menacé à toutes ses frontières. Ni ange, ni démon. Un homme de pouvoir dans un monde de feu. Capable du pire comme du meilleur, comme tous ceux qui portent trop longtemps le poids d’un État.
Mais ce qu’il faut retenir peut-être, c’est ce geste du 8 février 2010. Ce jour-là, Idriss Déby prend son avion et se rend à Khartoum pour rencontrer Omar el-Béchir. Les deux hommes, ennemis par rébellions interposées, se serrent la main. « Je suis un soldat. Je sais ce que c’est que la guerre », dit Déby. Et il choisit, ce jour-là, la paix.
Il n’aura pas eu le temps de vieillir. De faire le bilan. D’expliquer ses choix. Il est parti comme il a vécu : en mouvement, au combat, dans le silence d’un désert. Il était Maréchal, Président, Général, mais il se présentait ainsi : « J’étais un soldat avant d’être général, puis Maréchal, mais je reste soldat encore. »
Quatre ans après sa mort, les passions n’ont pas cessé. On l’admire, on le conteste, on le regrette parfois. Mais une chose est certaine : il n’a jamais été un homme tiède. Il avait la chaleur sèche de ceux qui ne trichent pas avec leur destin.
Il était un soldat.
Et il est tombé debout.