Les remplacements de hauts cadres de l’État ont toujours animé les salons n’djaménois, donnant lieu à toutes sortes de spéculations sur les raisons qui auraient pu amener le chef de l’État à éconduire tel ministre, se départir de tel général, ou encore muter tel haut cadre « à d’autres fonctions ». Avec le temps, cela est devenu une activité tout ce qu’il y a de plus banal, une causerie, pour ne pas dire « de gausserie ».
Mais lorsque la personne en question s’appelle Idriss Youssouf Boy, toute la capitale ne peut s’empêcher d’écarquiller les yeux et de s’extirper de sa torpeur, comme si un régent pressenti venait de subir publiquement l’affront le plus impensable.
En effet, cet après-midi du 27 septembre, tout juste après la prière du vendredi, la nouvelle du remplacement d’Idriss Youssouf Boy au très influent poste de Directeur de Cabinet Civil a résonné de manière aussi abrupte et agaçante qu’une pièce lancée sur la sébile en métal d’un talibé.
La légende qui ne voulait pas mourir
Pour qui suit l’actualité tchadienne, Idriss Youssouf Boy n’est plus à présenter. Il fut Secrétaire particulier de Mahamat Idriss Déby, puis Directeur de Cabinet Civil du Président, et considéré comme le véritable numéro deux du régime tchadien. Depuis l’accession au pouvoir de Mahamat Idriss Déby Itno, le 21 avril 2021, il a toujours été aux premières loges et a pris part à toutes les décisions les plus importantes du pays.
Bien qu’un an seulement après les débuts de la transition militaire, les accusations de détournements de fonds publics dans « l’affaire SHT », portant sur un peu plus de 13 milliards de FCFA (20 millions d’euros), en complicité avec un ancien directeur général d’une banque et l’ancien Directeur général adjoint de la Société des Hydrocarbures du Tchad, aient altéré son « aura » et entraîné sa révocation brutale du poste de Secrétaire particulier du Président, cela ne l’a pas anéanti. Projeté directement en prison pour quelques mois, il sera finalement remis en liberté par la justice après le prononcé d’un « vice de procédure ».
Le Général Idriss Youssouf Boy, plein de ressources, réussira, à la stupéfaction générale, à se hisser une nouvelle fois au sommet des hautes sphères de l’État, en devenant, en janvier 2023, le Directeur de Cabinet du président de la République. Cette nomination n’avait pas manqué de provoquer l’ire de l’opinion nationale tchadienne et de la diaspora, qui n’avaient pas hésité à critiquer Mahamat Idriss Déby Itno.
Par la suite, Idriss Youssouf Boy n’a cessé de consolider son ascension. Un événement particulier a convaincu même les plus sceptiques de sa puissance : le rôle crucial qu’il a joué lors des élections présidentielles de 2024. Il fut nommé trésorier de campagne du candidat à la magistrature suprême et se déplaça même dans des régions stratégiques comme l’Extrême-Nord, Faya et le Tibesti en lieu et place de Mahamat Idriss Déby Itno.
De ses cendres, renaît toujours le phénix
Si beaucoup l’avaient précipitamment enterré lors de son premier trébuchement et considéré comme anéanti, ils ont appris à leurs dépens qu’Idriss Youssouf Boy est un homme de pouvoir doté d’une habileté politique extrême et d’un sens stratégique hors du commun. Et si ces deux considérations ne suffisaient pas à calmer ses détracteurs, certains lui prêtent même des capacités mystiques lui permettant de résister à toute entreprise hostile.
Alors que des bruits de couloir de plus en plus persistants évoquent la formation d’un nouveau gouvernement, il ne serait pas exclu que cet homme aux multiples atouts crée encore la surprise, tel le phénix de la mythologie grecque, capable de se régénérer à partir de ses propres cendres. Un phénix laissant ses adversaires les plus véhéments figés dans l’horreur de sa résurrection sans cesse renouvelée.
Mais tout cela, au fond, n’est qu’un nouvel épisode dans la lutte perpétuelle qui se joue autour du président, une bataille où il ne s’agit plus vraiment de compétences ou de mérite. Ici, ce sont les égos qui s’affrontent, les rivalités qui se cristallisent, chacun tentant de faire tomber l’autre pour se rapprocher davantage du cercle restreint du pouvoir. L’objectif n’est pas de mieux servir l’État ou le peuple, mais bien d’éliminer ceux qui, eux aussi, gravitent autour du président, pour mieux monopoliser l’influence et les faveurs qu’il dispense.
Pendant ce temps, les Tchadiens, eux, assistent à ces joutes politiques de loin, absorbés par leurs propres préoccupations, plongés dans les défis quotidiens de la survie. Qu’ils soient frappés par les inondations ou accablés par les difficultés économiques, ils n’ont guère le temps de se soucier de ces querelles de palais, qui n’apportent aucune réponse à leurs problèmes immédiats. Remplacer Idriss par Idriss ne fait définitivement pas partie de leurs préoccupations.