Il fut l’un des premiers à donner une image au Tchad. Avant même que le pays ne se découvre une vocation cinématographique, avant Mahamat-Saleh Haroun et la reconnaissance internationale du cinéma tchadien, Édouard Sailly filmait déjà son pays, capturait ses visages, ses paysages et ses histoires. En 1966, son film Le Troisième Jour est primé au Festival africain et malgache de Saint-Cast, faisant de lui un pionnier du cinéma en Afrique centrale. Pourtant, avec le temps, son nom s’est estompé, oublié dans son propre pays, éclipsé par l’histoire et la mémoire sélective d’une nation en perpétuelle quête de repères.
Aujourd’hui, en ce mois de février 2025, c’est justement le FESPACO qui ravive son souvenir. Le grand festival panafricain du cinéma lui rend un hommage posthume, une reconnaissance tardive, mais précieuse, comme un rappel que le Tchad eut, en lui, un pionnier du septième art.
Un homme aux mille vies
Né en 1941 à Abéché, dans l’est du Tchad, Édouard Sailly incarne cette génération de métis nés sous l’ombre du colonialisme, à cheval entre deux mondes. Son père, soldat français de la colonne Leclerc, et sa mère, originaire d’Arada, lui donnent une identité hybride qui façonnera son regard sur le monde. Il grandit à Fort-Lamy (aujourd’hui N’Djaména), passe par l’internat des Métis, puis enchaîne les métiers : mécanicien, infirmier, vétérinaire, secrétaire du leader politique Gabriel Lisette.
Mais c’est la pellicule qui le passionne. Projectionniste au cinéma Le Normandie, il rêve d’images en mouvement. Son ambition le mène en France, où il se forme avec Les Actualités Françaises, avant de revenir au Tchad avec l’intention de filmer son pays.
Filmer le Tchad, le montrer au monde
Dans les années 1960 et 1970, Édouard Sailly réalise une série de courts métrages documentaires qui témoignent d’un Tchad alors méconnu. Pêcheurs du Chari (1964), Le Lac Tchad (1966), L’Enfant du Tchad (1969)… autant de films qui capturent le quotidien, la rudesse et la beauté des vies anonymes. Il filme avec précision, avec une attention quasi ethnographique, mais aussi avec la tendresse de celui qui appartient à ce qu’il montre.
En 1966, son film Le Troisième Jour (15 minutes, 35mm, noir et blanc) est primé au Festival africain et malgache de Saint-Cast, lui offrant une reconnaissance sur la scène cinématographique émergente du continent. Ce prix marque une étape importante dans sa carrière, faisant de lui l’un des premiers réalisateurs tchadiens à être distingué à l’international.
Un oubli injuste, une reconnaissance tardive
Mais les années passent, et Édouard Sailly s’efface peu à peu du paysage culturel tchadien. Contrairement aux réalisateurs d’après, comme Mahamat-Saleh Haroun, qui porteront haut le cinéma tchadien, son nom ne résonne plus dans les écoles de cinéma ni dans les cercles culturels de N’Djaména. Au Tchad, il est réduit à son rôle de photographe officiel des présidents, lui qui a immortalisé les visages du pouvoir durant des décennies. Son œuvre cinématographique, pourtant, disparaît dans l’oubli.
C’est donc un geste fort que pose le FESPACO en lui rendant hommage cette année. Une reconnaissance venue du Burkina Faso, alors même que son propre pays l’a si longtemps ignoré.
En célébrant Édouard Sailly, le FESPACO rappelle que le cinéma tchadien ne commence pas avec les succès contemporains, mais qu’il s’enracine dans une histoire plus ancienne. Celle d’un homme qui, caméra en main, a voulu raconter son pays.
Aujourd’hui, alors que de nouvelles générations de cinéastes émergent au Tchad, son travail mérite d’être redécouvert. Il serait temps que son nom retrouve la place qui lui revient dans la mémoire collective. Car si le FESPACO a su se souvenir, il appartient désormais au Tchad de ne plus l’oublier.