Dans l’immensité aride du Darfour, à la frontière ténue entre le Tchad et le Soudan, quelques milliers d’hommes se rassemblent sous le ciel blanc d’un printemps impitoyable. Ce 11 mars 1990, le vent du désert soulève les étoffes et les destins. Ici, à Bamina, dans une discrétion assumée, se tient un congrès qui va redessiner la carte du pouvoir tchadien. Les protagonistes ne le savent pas encore, mais de ce conclave surgira un nom que l’histoire retiendra : le Mouvement Patriotique du Salut, le MPS.
Ce matin-là, les visages sont graves. Beaucoup d’entre eux ont combattu sous le commandement d’Hissène Habré, maître de N’Djamena depuis huit ans, mais ils sont désormais ses adversaires les plus résolus. Réfugiés politiques, officiers mutinés, leaders communautaires, ils forment une alliance de circonstance, nourrie par la défiance et la nécessité. Le désert est leur asile, le combat leur seule issue.
Un congrès improbable au cœur du Darfour
L’atmosphère du congrès est tendue. Les méfiances tribales et politiques sont encore vives. Mais l’heure n’est plus à l’isolement. Tous savent que leur survie passe par l’union. Après plusieurs jours de tractations, les chefs se lèvent, se donnent la main et scellent un pacte : le Mouvement Patriotique du Salut est né.
L’organigramme de ce jeune mouvement est aussitôt esquissé. Idriss Déby, militaire rigoureux et fin stratège, est désigné président. À ses côtés, Maldom Bada Abbas devient vice-président, représentant un équilibre politique et régional nécessaire. Le poste stratégique de la défense est confié à Djibrine Dassert, une manière d’intégrer la dimension sudiste dans cette alliance encore fragile.
Autour de cette trinité, d’autres figures, encore jeunes, vont s’illustrer dans les années à venir : Moussa Haroun Tirgo, Mahamat Abdallah Nassour, Kété Moïse, Mahamat Saleh Adoum, Youssouf Boy. À Bamina, ces noms sont encore ceux de jeunes hommes en armes, souvent fatigués par l’exil et la guerre. Ils deviendront pourtant des piliers de l’appareil politique du Tchad d’après-guerre.
De la rébellion au pouvoir
Le MPS, dès ses premières heures, se pense non plus comme un simple mouvement rebelle, mais comme une alternative politique. Sa rhétorique emprunte au nationalisme, à la dénonciation de l’arbitraire habriste et à la promesse de réconciliation nationale. Mais sa stratégie reste d’abord militaire. Les alliances passées au Soudan permettent à Déby de reconstituer ses forces, de s’armer et de préparer l’offensive sur N’Djamena.
Le 1ᵉʳ décembre 1990, Idriss Déby entre triomphalement dans la capitale tchadienne. Hissène Habré quitte la capitale. La conquête du pouvoir par le MPS est complète. De Bamina au palais présidentiel, il n’aura fallu que neuf mois pour faire basculer le destin d’un pays.
Aujourd’hui encore, le congrès de Bamina reste une référence mythique dans l’imaginaire politique tchadien et surtout chez les partisans du parti au pouvoir. Une image presque romanesque : celle d’hommes aux turbans immaculés réunis dans le silence du désert pour refonder une nation déchirée. Mais ce mythe masque aussi les ambiguïtés de cette rébellion devenue régime. Si le MPS a incarné une espérance pour beaucoup, il est aussi devenu synonyme de longévité autoritaire et de pouvoir sans partage.
Reste le serment du désert, gravé dans la mémoire des survivants. Ce jour où des ennemis d’hier devinrent compagnons d’armes, portés par un idéal : sauver le Tchad. La promesse fut-elle tenue ?