Il est de ces hommes dont l’ascension politique ne doit rien au fracas des discours populistes ni aux jeux d’influence discrets des cercles du pouvoir. Sénoussi Hassana Abdoulaye, 41 ans, élu ce lundi maire de N’Djamena, incarne une rare exception dans le paysage politique tchadien. Son profil tranche avec ceux qui l’ont précédé à la tête de la capitale : technocrate formé à l’ENA française, juriste rigoureux, gestionnaire aguerri, il arrive avec une réputation intacte, celle d’un homme qui a fait ses preuves dans l’administration.
Cette élection, qui aurait pu rester un simple rouage institutionnel, suscite pourtant un engouement inhabituel. Dans les « carrefours » de N’Djamena comme sur les réseaux sociaux, son nom circule avec une ferveur teintée d’attente. Car au-delà de son profil, c’est l’idée d’un changement qui semble s’incarner en lui. Après des années de gestion municipale marquées par l’opacité et la paralysie, beaucoup voient en lui un homme capable de redonner à la ville un semblant d’ordre et d’ambition.
Un parcours sans accroc
Natif de la capitale, fils d’un ancien maire, Sénoussi Hassana Abdoulaye n’est ni un outsider ni un apparatchik classique. Il appartient à cette génération d’administrateurs qui ont fait leurs armes loin des batailles tribales et militaires, à coups de réformes et de dossiers bien ficelés. Passé par les grandes institutions tchadiennes, il s’est forgé une réputation de gestionnaire méticuleux, soucieux de rigueur et d’éthique.
À la tête de l’École nationale d’administration (ENA) du Tchad, il a mené une réforme jugée exemplaire, mettant fin aux pratiques de favoritisme dans les concours d’entrée. Une performance saluée, mais qui lui a valu quelques inimitiés. Plus récemment, il dirigeait l’Autorité de l’aviation civile du Tchad (ADAC), un poste technique où il s’est attaché à renforcer la régulation du secteur aérien.
Cette trajectoire lui confère une stature d’homme d’État à part, ni totalement dépendant du pouvoir central, ni marginalisé par lui. Un équilibre rare sous ces latitudes.
N’Djamena Tindjama ?
En lui confiant la mairie, le conseil municipal lui laisse entre les mains un chantier colossal. N’Djamena, tentaculaire et chaotique, est une ville à la dérive. Son réseau routier est délabré, ses marchés insalubres, ses infrastructures quasi inexistantes. La gestion des déchets, du trafic, de l’accès à l’eau et à l’électricité est un casse-tête quotidien pour les habitants.
Face à ces défis, le nouveau maire a déjà esquissé sa méthode. Il promet une gouvernance transparente, une remise en ordre des finances municipales et un soutien accru aux jeunes et aux initiatives locales. Des engagements qui résonnent avec son parcours et qui expliquent l’enthousiasme qu’il suscite.
Mais l’attente est aussi à la hauteur des désillusions passées. Car N’Djamena a trop souvent cru en ses élus. Les précédents maires, eux aussi portés par l’espoir, ont vite été rattrapés par les pesanteurs du système : manque de moyens, bureaucratie inefficace, ingérences du pouvoir central. L’administration municipale, gangrenée par les passe-droits, a toujours eu raison des bonnes intentions.
L’épreuve du réel
Sénoussi Hassana Abdoulaye, lui, semble conscient du piège. Mais saura-t-il y échapper ? Sa légitimité repose aujourd’hui sur sa capacité à imprimer un rythme, à produire des résultats visibles rapidement. S’il parvient à rétablir une forme d’ordre administratif, à assainir les finances locales, et à offrir aux habitants de premiers signaux concrets d’amélioration, il pourra espérer imposer son style.
Mais s’il se heurte, comme tant d’autres avant lui, aux blocages politiques et aux résistances administratives, l’enthousiasme d’aujourd’hui pourrait vite laisser place à la déception. Pour lui, le temps des promesses est déjà terminé. À N’Djamena, l’espoir est une denrée fragile.