Assises sur de larges nattes en plastique tressé, une vingtaine de réfugiées soudanaises patientent devant la tente de Médecins sans frontières (MSF) avant leur consultation dans le camp de Touloum, dans l’est du Tchad. Après deux ans de guerre au Soudan, la situation pourrait encore s’aggraver dans ce camp tchadien déjà saturé, au vu des combats acharnés dans le pays voisin.
Entre 25.000 et 30.000 réfugiés, selon les sources, s’y entassent sous les abris en tôle et toile blanche du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), au cœur de la brousse semi-désertique près d’Iriba, non loin de la frontière du Soudan.
Drapée dans une étoffe orange et violette, Nadjala Mourraou est l’une des premières à être prise en charge. Cette femme de 32 ans à l’allure élancée tient son fils Ahma dans ses mains tatouées au henné. Après les premiers constats, les infirmiers concluent que le garçon de deux ans au regard hagard souffre de malnutrition aiguë. « On souffre du manque de nourriture », se plaint la mère de famille originaire de Nyala (Darfour du Sud), où elle a fui les combats il y a plus d’un an. « Depuis notre arrivée (…) on ne mange chaque jour qu’un bol d’assida », une bouillie à base de sorgho.
Depuis deux semaines, les cas de malnutrition sont en hausse à Touloum, précise Dessamba Adam Ngarhoudal, infirmier chez MSF. « Sur les 100 à 150 consultations hebdomadaires, près de la moitié sont des cas de malnutrition », détaille le soignant de 25 ans.
Les cas les plus critiques sont redirigés vers l’hôpital du district d’Iriba, à une demi-heure de piste. « Nous avons déjà dépassé depuis le début du mois la capacité de prise en charge dans le service de malnutrition de cet établissement et on s’attend à ce que les admissions continuent d’augmenter avec la saison chaude et des températures dépassant les 40°C », complète Hassan Patayamou, 38 ans, infirmier MSF, au lendemain d’un premier décès de nourrisson soudanais pour cause de malnutrition à l’hôpital d’Iriba.
Au Soudan, le général Abdel Fattah al-Burhane, chef de l’armée, et son ancien adjoint Mohamed Hamdane Daglo, chef des paramilitaires, se livrent une guerre sanglante depuis deux ans. Le conflit a fait des dizaines de milliers de morts et déraciné plus de douze millions d’habitants, « l’une des pires catastrophes humanitaires » au monde selon l’ONU.
Impossible pour le Tchad de venir seul en aide au plus de 770.000 réfugiés soudanais arrivés sur son territoire, selon le HCR. Un chiffre qui pourrait s’élever à plus de 970.000 d’ici à la fin de l’année compte tenu des affrontements au Soudan, selon le gouvernement tchadien.
Fin février, le HCR n’avait reçu que 14% des 409,1 millions de dollars nécessaires pour soutenir les personnes réfugiées au Tchad cette année. « Le peuple tchadien a une tradition d’accueil de ses frères soudanais en détresse », insiste Djimbaye Kam-Ndöh, gouverneur de la province du Wadi Fira où se trouve le camp. « Mais la population de la province a pratiquement doublé et nous demandons un appui conséquent ».
Le gel de l’aide américaine décrété en janvier par l’administration Trump et la baisse des financements d’autres bailleurs, notamment européens, inquiète. « Avec la coupe des aides budgétaires, nous n’avons plus les moyens d’assister les réfugiés soudanais comme nous le faisions auparavant », s’est alarmé Filippo Grandi, Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés, interrogé par l’AFP lors d’une visite récente à la frontière du Soudan.
Au Soudan, près de 25 millions de personnes souffrent d’insécurité alimentaire aiguë, selon le PAM, situation qui pourrait se dégrader avec la saison des pluies, dans moins de deux mois. « Nous nous préparons à une explosion des cas de malnutrition et de paludisme », prévient Samuel Sileshi, coordinateur des urgences pour MSF au Darfour-Central, joint par téléphone.
« Cette année, nous sommes en plus confrontés à des épidémies de rougeole au Darfour », assure-t-il avant d’ajouter que les pathologies combinées « peuvent avoir des effets dévastateurs » notamment sur les enfants.