Il est difficile de faire des recherches sur l’histoire du Tchad et trouver des traces de documents ou autres supports. L’état des Archives nationales n’est pas reluisant. Une situation qui rend très difficile la question de recherche quand l’on fait face à un thème lié au Tchad. Avec l’archiviste Tang-Irmi Dinza, Le N’Djampost passe en revue la question des Archives nationales du Tchad et aborde son Prix du jeune professionnel au Congrès International des Archives à Abu Dhabi. Interview.
Vous avez remporté, en octobre 2023, le prix du poster du jeune professionnel au Congrès International des Archives (ICA) à Abu Dhabi. Pouvez-vous nous parler de cette distinction et ce qu’elle représente pour vous ?
Effectivement, en octobre 2023, mon projet de recherche a été retenu pour le congrès des archivistes à Abu Dhabi. Et c’est une occasion à laquelle j’ai fait rayonner le nom de mon pays, le Tchad, à travers mes travaux de recherche, et cela, devant une communauté venue de 140 pays avec une participation de presque 5.000 personnes. C’est vraiment fantastique.
Aujourd’hui, que ce soit dans le monde documentaire, de bibliothéconomie, un peu partout, les gens parlent de l’évolution numérique, d’autres parlent de la digitalisation, d’autres parlent de la transformation numérique. Mais en fait, quels sont les vecteurs ou les causes profondes de cette transformation, de cette révolution numérique ? C’est sur cette question cruciale que j’ai eu à desceller deux vecteurs principaux qui sont à la cause et à la base de la révolution numérique. Deux lois fondamentales : la loi de Moore et la loi de Metcalfe. Il y a eu d’abord une collision entre ces deux lois. Après la collision, vient la convergence de ces deux lois qui nous ont conduits inévitablement vers la transformation numérique. Et plus particulièrement, la loi de Moore nous enseigne sur comment la vitesse de traitement des informations se passe au niveau de nos appareils, que ce soit le téléphone, l’ordinateur, tout appareil numérique. La loi de Moore dit que la vitesse de traitement et la capacité de stockage des données passent au double. Cela a été ignoré pendant longtemps. Heureusement que notre article de recherche a révélé cela.
Je reviens sur le mot du Maréchal défunt, Idriss Deby Itno, paix à son âme. Il a dit qu’il voulait faire du Tchad, la vitrine de l’Afrique centrale. Mais cette vitrine-là, les gens n’ont pas compris le fond de cette phrase. Les gens pensent à l’infrastructure, il faut construire des grands bâtiments. Il faut construire des écoles, c’est bien, mais le domaine intellectuel, le domaine de recherche, personne n’a pensé à cela. Alors moi ce prix représente ma pierre de contribution à la parole du Maréchal Idriss Deby Itno. J’ai fait briller le Tchad à l’international, ça entre dans le cadre de ce qu’il a prononcé. Ce n’est pas seulement les infrastructures physiques, mais intellectuelles d’abord. Et là, je crois que j’ai fait ma part. Et si chaque Tchadien fait de cette manière, je crois que ce qu’il a dit va se réaliser.
Vous êtes l’un des rares archivistes du Tchad à briller à l’international, expliquez-nous ce qu’est l’archivage et quel est son intérêt pour un pays.
L’archivage, c’est d’abord la collecte des informations. En sciences archivistiques, nous parlons de 4C. La Collecte, le Classement, la Conservation et la Communication. Voilà ce que représente l’archivage. Maintenant, pour tout pays, il y a plusieurs types d’intérêt de l’archivage. Il y a d’abord l’intérêt culturel, historique et puis en termes de preuve. Si un pays ne se pose pas sur ces intérêts, la culture n’aura pas sa place, la recherche n’aura pas sa place. Donc l’archivage constitue un patrimoine culturel et commun à tout Tchadien.
Quel est l’état de lieu des Archives nationales au Tchad ?
L’État des Archives nationales, ce n’est pas du tout glorieux au Tchad. Parce que avant les indépendances, le document le plus ancien aux Archives nationales date de 1901. Jusqu’aujourd’hui, on n’a pas un bâtiment dédié aux Archives nationales. Ça, c’est un problème. Les infrastructures physiques ne sont pas au top parce que nous parlons de la digitalisation. Les Archives nationales ne sont pas digitalisées. Même si une partie est digitalisée, ce n’est pas fait au Tchad, c’est fait ailleurs et on nous envoie les fichiers numériques. On n’a même pas encore des serveurs dédiés pour stocker ces éléments. Donc, il faut vraiment de la volonté politique. J’ai eu à rencontrer le ministre de la Jeunesse qui m’a montré une forte motivation pour rehausser le niveau des Archives nationales parce que lui aussi, il a fait un tour aux Archives nationales au ministère de la Culture, donc la volonté y est, mais comme c’est un travail de fourmi, il faut aller de l’avant. La situation en général n’est pas glorieuse.
Quels sont les défis de l’archivage au niveau du Tchad ?
Les défis sont nombreux. À part les défis communs que notre article a soulignés, les défis qui sont issus de la loi de Moore et de la loi de Metcalfe qui couvrent les défis mondiaux, particulièrement au Tchad, il y a d’autres défis qui s’ajoutent. D’abord, la première des choses, il faut avoir un site idéal. On n’a même pas d’infrastructures physiques pour ne pas parler de la sécurité autour des archives. Car la sécurité est très importante. Il faut que nos hommes politiques essaient de voir sur cet aspect parce que ce sont des biens communs, la documentation. Il faut qu’on sécurise notre mémoire collective sinon c’est un problème.
Les autres défis sont ceux qu’on vit tous les jours. Le problème énergétique. Je sais que la SNE est en train de faire des gros efforts, mais c’est très insuffisant pour un pays pétrolier comme le Tchad. Au niveau des Archives nationales, nous sommes en train de vouloir faire comme les autres pays : aller vers la documentation numérique. Le monde est en train de se digitaliser, il faut que le Tchad aussi se digitalise. Mais sans énergie, ça ne peut pas se passer. Donc le problème d’électricité, c’est un problème crucial.
Le coût de l’internet est aussi un défi. À quoi bon de collecter les documents, les classer, les conserver sur le long terme, mais les gens n’ont pas la possibilité de les consulter en ligne ? Pour consulter les documents en ligne, il faut de la connexion internet, mais le coût pour un individu lambda au Tchad, ce n’est pas la joie. Et là également, il faut que les autorités essaient de nous faciliter la tâche.
Selon vous, que faut-il faire pour relever les défis auxquels est confronté le secteur de l’archivage au Tchad ?
Pour relever les défis, on ne va pas passer par un coup de bâton magique, mais c’est d’abord la volonté politique. Je parle de la politique à petit pas parce que le travail des archivistes même c’est un travail de fourmi. Il y a quelques personnalités que j’ai eu à rencontrer aux Archives nationales dont le ministre de la Jeunesse a déjà donné son point de vue, sa motivation et je crois que si les autres essaient de voir dans la même direction, je crois que ça pourra aller. Parce qu’il y a des organisations internationales qui sont là, prêtes avec des fonds pour aider les Archives nationales. Les autres pays en bénéficient.
Moi, j’ai participé à plusieurs conférences internationales sur les archives, mais le Tchad n’a même pas un projet. Quand on me demande quel est le projet pour ton pays, ce n’est pas facile de répondre. Il y a des opportunités qui sont là, il faut qu’on en saisisse même s’il n’y a pas de fonds au niveau local, au niveau international, il suffit d’écrire des bons projets, soumettre et on va avoir le financement. Il y a des ONG qui sont là pour ça.
Avez-vous un message ou un dernier mot ?
Je vais m’adresser particulièrement aux jeunes Tchadiens. Le monde de la recherche, ce n’est pas simple, mais c’est aussi très simple. Moi, je rassure à tout le monde que dans ma tête, l’école est gratuite et cela a toujours été gratuit pour moi. J’ai eu des opportunités, j’ai beaucoup voyagé, j’ai assisté aux conférences, aux congrès avec 0 F CFA. Qu’est-ce qui se passe ? Il suffit de faire un petit effort intellectuel. Il y a de l’argent que chaque année les bailleurs de fonds retournent avec parce qu’il n’y a pas de preneurs. Alors pour aller prendre cet argent, il faut fournir un petit effort intellectuel. J’invite les jeunes à briller, pas seulement au niveau local, mais au niveau international. Les choses sont gratuites là-bas. Donc ce petit effort intellectuel, il faut qu’on le fasse. Il ne faut pas compter seulement sur l’État tchadien qui doit nous donner de l’argent, qui doit nous envoyer étudier, non. Il y a des concours qui sont là. Aujourd’hui, arrivé à ce niveau, je suis passé par plusieurs concours et le Tchad n’a même pas contribué d’ailleurs. Donc c’est un appel que je lance envers les jeunes. Travaillez, faites des recherches, allez-y sur internet, même si c’est cher, au lieu de bavarder sur Facebook. Vous aurez les mêmes opportunités que j’ai eues, ce n’est pas magique.