Si vous pensez que les événements qui se déroulent actuellement au Soudan constituent une situation d’urgence sans avertissement, détrompez-vous. Le conflit actuel est plutôt un symptôme aigu d’une crise qui sévit dans le pays depuis des décennies. La population soudanaise souffre depuis bien trop longtemps des troubles politiques et de l’instabilité économique. L’escalade des besoins humanitaires a laissé de nombreux Soudanais en mode « survie ».
Rien que l’année dernière, les besoins humanitaires ont atteint leur niveau le plus élevé en dix ans, les conflits violents et l’insécurité alimentaire figurant parmi les nombreux défis auxquels la population a été confrontée, tandis que d’importantes inondations ont mis en évidence la vulnérabilité du pays face à l’évolution rapide des conditions climatiques. La situation s’est encore aggravée avec la recrudescence des combats entre groupes armés dans les États du Darfour, du Kordofan et du Nil Bleu, qui a entraîné le déplacement de plus de 3 millions de personnes, dont près de 2,5 millions pour le seul Darfour.
Entre-temps, le Soudan a également accueilli plus d’un million de réfugiés en provenance de pays voisins tels que le Sud-Soudan et l’Éthiopie, qui ont eux-mêmes fui la violence pour se retrouver coincés dans un autre conflit, ce qui affecte encore plus leur capacité à faire face à leur fuite de la misère et de la mort.
Avant le conflit actuel, nos équipes avaient tiré la sonnette d’alarme en attirant l’attention sur les besoins critiques des populations de l’ouest du Darfour, soulignant l’urgence d’intensifier la réponse humanitaire au système de santé déjà fragile. Aujourd’hui, nos équipes ont été les premiers témoins de l’effondrement du système de santé et de l’augmentation rapide des besoins médicaux et humanitaires dans tout le pays, plaçant un grand nombre de personnes dans une situation où leur vie est menacée. Les Nations unies estiment que les besoins ont augmenté de 57 % depuis décembre 2022.
Depuis le 15 avril, les habitants de Khartoum et d’autres États ont souffert des combats violents, des frappes aériennes et des pillages massifs. Une nouvelle vague de déplacement de 1,4 million de civils a été signalée, les femmes et les enfants étant particulièrement touchés. Les violences actuelles ont entraîné des pénuries de nourriture, d’eau, de médicaments et de carburant, provoquant une flambée des prix et rendant de plus en plus difficile l’accès aux soins médicaux au moment où les gens en ont le plus besoin. À Khartoum, El Geneina, Zalingei et dans d’autres villes et villages où se poursuivent de violents combats, des personnes restent prises au piège, tandis que des centaines de milliers d’autres ont fui vers des régions plus sûres du pays ou ont franchi les frontières.
Malgré d’immenses obstacles, nous restons déterminés dans notre engagement à soutenir au mieux le peuple soudanais, en fournissant des soins de santé essentiels à ceux qui en ont désespérément besoin. Nos équipes sont actuellement présentes dans dix États du Soudan et participent à diverses activités, telles que la prise en charge des blessés de guerre à Khartoum et au Darfour Nord, la fourniture de soins de santé et de services d’eau et d’assainissement aux réfugiés, aux personnes déplacées et aux communautés locales dans les États d’Al-Gedaref et d’Al-Jazeera, et la fourniture de matériel médical aux établissements de santé dans tout le Soudan.
Cependant, les attaques contre les établissements de santé et le mépris pour la vie des civils ont rendu de plus en plus difficile pour MSF la fourniture de services de santé vitaux pendant cette période critique. Par exemple, à Nyala, au sud du Darfour, nous avons été contraints de suspendre nos activités après que l’un de nos complexes et entrepôts ait été violemment pillé le 16 avril. À Khartoum, un autre entrepôt a également été pillé et occupé, et des fournitures médicales, du carburant et des véhicules ont été volés. Les réfrigérateurs ont été débranchés et les médicaments laissés à l’air libre et à même le sol, ce qui signifie qu’ils ne peuvent plus être utilisés. Le 26 avril, l’hôpital universitaire d’El Geneina, où MSF gérait les services de pédiatrie et de nutrition, a également été pillé et certaines parties de l’hôpital ont été endommagées ou détruites. L’hôpital reste fermé suite à cette attaque.
Le vol de fournitures et de véhicules, le harcèlement du personnel médical et la proximité de la violence avec les installations et les infrastructures de soins de santé entravent collectivement les efforts des travailleurs médicaux et humanitaires pour répondre efficacement à la situation désastreuse. Ces attaques ne sont pas des incidents isolés propres à MSF. Elles sont plutôt révélatrices d’une tendance plus large où les parties belligérantes font preuve de mépris pour les vies civiles, les infrastructures et les installations de soins de santé. Cette tendance constitue une menace sérieuse pour la fourniture de services de santé essentiels et exacerbe les conditions déjà difficiles auxquelles sont confrontées les populations touchées.
Des problèmes administratifs et logistiques entravent également les activités médicales de MSF. Il est extrêmement difficile d’acheminer des fournitures d’une région à l’autre du Soudan. De même, bien que MSF ait pu faire entrer des équipes d’urgence au Soudan au cours des premières semaines du conflit, il est depuis lors difficile d’obtenir l’autorisation de se rendre sur les lieux des projets ou d’obtenir des visas pour du personnel supplémentaire.
Comment pouvons-nous continuer à mener nos activités sans un niveau acceptable de protection pour notre personnel et pour les personnes incapables d’accéder aux structures médicales en raison des menaces constantes et sans obtenir un niveau d’accessibilité pour nos fournitures et nos équipes afin de déplacer et d’acheminer l’aide ?
Grâce à notre expérience humanitaire dans les zones de conflit, nous connaissons l’ampleur du danger que représentent les conflits pour les civils qui ne peuvent pas ou choisissent de ne pas évacuer, y compris le personnel médical qui reste pour fournir des soins aux malades et aux blessés. Les parties au conflit doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les civils et veiller à ce que les personnes malades, blessées ou ayant un besoin urgent d’aide médicale aient accès aux centres de soins.
Alors que j’écris ces dernières lignes, je ne peux m’empêcher de me demander combien de vies qui auraient dû être épargnées sont perdues en ce moment même. Face aux conflits en cours et aux attaques contre les soins de santé dans divers endroits, il est impératif de garantir la sécurité du personnel médical et des établissements de santé afin d’assurer une prestation efficace des soins de santé. Pour ce faire, il faut permettre aux ambulances et aux personnes à la recherche d’une assistance médicale de circuler en toute sécurité, et faciliter l’accès et la circulation rapide et sans entrave des travailleurs humanitaires, des organisations et des fournitures pour qu’ils puissent se rendre là où on a besoin d’eux.
Trop de vies sont en jeu et nous ne pouvons pas rester les bras croisés face aux risques encourus par les populations. Il est essentiel que les civils touchés par les combats aient accès à des soins de santé d’urgence.
Par Stephen Cornish, Directeur général de MSF Suisse