Il est difficile de passer par certains grands carrefours de la ville de N’Djamena sans remarquer la présence des jeunes, adolescents pour la plupart. Très souvent, ils sont assimilés aux malades mentaux. Ces enfants s’adonnent à la consommation des excitants, notamment de la colle. Un produit qui n’est pas sans effets sur la santé humaine.
Il est environ 13 heures au rond-point de Dembé. Une heure pendant laquelle presque toutes les familles se réunissent autour d’un repas. À ce grand carrefour comme dans d’autres coins de la cité capitale, de jeunes garçons, adolescents pour la plupart, ont trouvé de quoi se nourrir et se rafraîchir. Bouteilles en plastique dans la bouche pour certains, sachets blancs pour d’autres, remplis de la colle, communément utilisé par les mécaniciens pour réparer les pannes de crevaison de vélos et motos. Ce produit utilisé à d’autres fins leur sert de rafraîchissement et de quoi se détendre. « Hors de ma vue ! », lance un jeune âgé d’approximativement 14 ans. Pour ceux qui ont déjà pris leur dose pour la journée, le gazon de ce grand carrefour leur sert de reposoir, sous un soleil de plomb. Ils sont surtout violents pour la plupart, aux premiers abords.
Après plusieurs tentatives et avec l’aide d’un agent municipal, Cédric, surnommé Pipo par ses compagnons, décide enfin de s’ouvrir à nous. « Je ne suis pas un voleur, je n’ai encore rien fait de la journée », tels sont les premiers propos de notre jeune encore lucide. En effet, comme ce jeune, ils sont nombreux à se retrouver à cet endroit juste pour se sentir membre d’un groupe social. « Je suis parti de chez mon oncle sans que personne le sache. Je dormais d’abord dans une agence de voyage de la place et ensuite sous un hangar dans le marché, mais je n’étais pas en sécurité. Un jour, un groupe de jeunes est tombé sur moi et ils ont été plutôt compatissants avec moi. On pourrait se perdre de vue du jour au lendemain, mais pour l’instant, je me sens en sécurité avec eux ».
Comment se sont-ils lancés dans cette aventure ? La réponse à cette question diffère d’une personne à une autre. Chacun de ces enfants a une histoire particulière avec la rue. Pour notre interlocuteur, avec un regard inquiétant et un sentiment de trahison envers ses compagnons, les conditions familiales n’ont pas été tendres avec lui. « Il ne pouvait se passer une journée sans que je sois battue par ma tutrice ou ses enfants. Mes doigts ont été même brûlés une fois après un repas avec mes cousins. Je ne pouvais plus supporter. Ma mère est morte suite d’un accouchement et j’ai été récupéré par mon oncle pour venir fréquenter ». Comme bien d’entre eux, Pipo est devenu un addict à cet excitant pour oublier les mauvais moments passés en famille.
La colle, tueur ou antidépresseur
« Je ne pourrais vous dire comment je me suis retrouvé avec cette bouteille dans la bouche pour la première fois. La sensation que j’ai eue ce jour est indescriptible. Tout ce que je peux vous dire, c’est que je le prends pour m’endormir et ne pas voir ce qui se passe autour de moi ». Pendant que la conversation semblait plutôt être rassurante, l’adolescent disparaît à la moindre inattention. « Voir ces enfants sillonner ainsi sans protection m’écœure. Mon instinct maternel prend toujours le dessus, mais ces derniers sont difficiles à aborder », s’indigne dame Kaltouma, vendeuse.
Nous sommes sans ignorer que la consommation d’un produit comme la colle n’est pas anodine. Les effets de cette substance sur la santé sont nombreux d’après Dr Abaye Thomas. « Vous conviendrez avec moi que ces enfants sont toujours en train de tousser. C’est l’effet de la colle sur l’appareil respiratoire. En plus de cette toux chronique, ils sont exposés à d’autres pathologies telles que les difficultés respiratoires, la bronchite chronique, la tuberculose bronchopulmonaire, le cancer pulmonaire », nous informe-t-il.
Le médecin poursuit en signifiant que la nervosité dont font preuve ces enfants est totalement justifiée, car la colle induite non seulement ça, mais aussi l’effet de dépendance, de démence et de tremblement des extrémités. « Je suis admiratif des personnes ou des organisations qui se battent comme elles peuvent pour donner une autre chance à ces jeunes. Nous sommes tous concernés par cette situation, parce qu’il s’agit de nos enfants », renchérit Dr Thomas. L’appel est ainsi lancé pour sauver l’avenir de ces futurs cadres de notre pays. Comme quoi la rue n’a jamais enfantée.