Elèves intimidés, parents terrorisés, enseignants menacés, écoles fermées… Les attaques des groupes armés alliés à Boko Haram ont des impacts douloureux sur le système éducatif dans les îles du Lac Tchad. Malgré les efforts du gouvernement et ses partenaires, 152.875 enfants sont privés d’éducation.
Il est 09 heures 43 minutes ce jeudi 12 octobre 2023 à l’école Pilote de Bol ; chef-lieu de la Province du Lac, située à l’Ouest du Tchad. Sous un soleil de plomb, nous sommes dans la cour de cette école à l’heure de recréation. Après les salamalecs, notre guide nous conduit à la direction. Le constat est que l’effectif des élèves n’est pas au bon fixe comme dans les 175 autres écoles que compte la province. Les raisons sont similaires dans les 5 départements du Lac, où nous sommes passés. Les enfants ont abandonné les salles de classes à cause des attaques et menaces répétitives de Boko Haram.
Déjà, la panique s’est installée à Kaïga Kindjiria, une des nombreuses îles du Lac Tchad, lorsque, début avril 2023, des hommes armés à moto ont ravagé l’école du village. « J’étais en classe quand les terroristes sont venus. Ils ont tiré des coups de feu partout et nous nous sommes enfuis pour nous sauver. Après, quand on est revenu à l’école, j’ai vu qu’ils avaient incendié la moto du directeur, le bureau de l’école et les cahiers des élèves », se souvient B.D, un élève de 14 ans. Depuis, l’école de Kaïga a été fermée et n’est pas toujours rouverte.
A Tchoukoutalia comme dans bien d’autres îles, les attaques de Boko Haram, la terreur qui s’en est suivie et la gravité de l’insécurité entraînent une série de fermeture d’écoles, nuisant au droit à l’éducation des enfants. Délégué provincial de l’Éducation Nationale à Bol, Moussa Issa s’en répandre en sanglots longs. « Au moment de la rentrée scolaire, dans les 5 départements, un profilage a permis d’identifier 152.875 enfants qui ne vont pas à l’école. Tout cela à cause de la psychose quotidienne, des menaces et attaques terroristes », explique-t-il. Il poursuit que ces terroristes, sont sans cœur et n’ont pas pitié des enfants qui partent à l’école. « Ces terroristes ont tué, battu, enlevé et menacé des élèves. Il faut repenser les plaies pour que les enfants soient rassurés et retournent à l’école », a-t-il martelé.
Une guerre contre l’éducation
Depuis que les premières attaques d’écoles ont été enregistrées au Tchad, le nombre et la gravité de ces attaques sont en hausses. Les combattants utilisent des établissements scolaires comme bases pour stocker leurs armes, munitions et pour retenir et torturer des otages. Plusieurs écoles ont été utilisées à cet effet. C’est une guerre ouverte contre l’éducation, confie un enseignant. « L’objectif des assaillants est d’interdire l’éducation dans toute la zone. L’enjeu étant de maintenir les enfants dans l’obscurantisme pour mieux se servir d’eux », a-t-il expliqué.
Résultat : le nombre d’enfants inscrits à l’école est en régression vertigineuse d’année en année. Khalil Souar, enseignant en service au Lac, s’en explique : « Au début de la rentrée, beaucoup d’enfants s’inscrivent. Mais, quand une attaque surgit en leur présence, ils paniquent. Ceux qui avaient échappé aux tentatives d’enlèvement dans les écoles ne veulent plus y retourner. D’autres encore préfèrent se réfugier dans les écoles coraniques contre lesquelles on n’a pas enregistré de menace significative. »
Rencontré à la sortie d’une école coranique non-loin du marché de Bol, Y. M., un ado à la mine indéchiffrable témoigne. « J’ai toujours aimé l’école jusqu’au jour où j’ai vu mon grand-frère et ma sœur mourir à l’école de Ngouboua dans les flammes d’un incendie causé par une attaque terroriste. Depuis ce jour, je n’ai plus envie d’y remettre les pieds. J’ai peur et je préfère rester à l’école coranique. »
Du coté des autorités, le Gouverneur du Lac, Djibrine Ratou, rassure. « A cause de Boko Haram, des milliers d’enfants ont vécu dans la peur, mais nous avons pris des mesures pour garantir leur sécurité partout où ils se trouvent. Les forces de l’ordre sont en alerte permanente pour protéger les enfants », a-t-il informé. Il rajoute qu’actuellement, une commission de pilotage de la stratégie de sortie de crise du terrorisme dans la province, est créée. « Cette commission a pour objectif de ramener la paix durable et définitive dans cette province, qui a tant souffert des exactions. J’invite tous les acteurs à s’impliquer pour la mise en œuvre de la déclaration sur la sécurité dans les écoles, car les enfants ont besoin d’un climat de confiance et de paix pour poursuivre normalement leurs études », prêche-t-il.
Les partenaires à la rescousse
Dans sa mission de protéger les enfants, l’un des partenaires de l’État en matière de l’éducation, l’UNICEF exprime sa sensibilité face à cette situation et multiplie des appels à la protection des enfants et l’assurance de leur éducation sous toutes ses formes. Dans sa déclaration, Marie-Pierre Poirier, directrice de l’UNICEF pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, esquisse quelques pistes de solution : « Les violences contre les civils au Lac éloignent de nombreux enfants des salles de classe depuis des années. On essayera de trouver une solution aux attaques, car on s’aperçoit que quand les écoles sont plus proches des communautés moins isolées, elles ont moins de risque d’être attaquées. On va sensibiliser la population et les communautés locales. Grâce à ça, on espère avoir moins de risque et les enfants retourneront à l’école. C’est en respect aux articles 19, 28 et 29 de la Convention relative aux droits de l’enfant.»
En attendant les investissements politiques souhaités, des milliers d’enfants, comme B.D., du village de Kaïga Kindjiria, continueront de grandir hors du système scolaire, avec tout ce que cela comporte comme risque.