Opposition tchadienne, requiem pour les morts

Ph DR

La scène avait des allures de sentence. Dans la grande salle du ministère des Affaires étrangères, les représentants des partis alliés au MPS étaient tous là, alignés comme à un conseil de famille. Ils attendaient des consignes, peut-être même une promesse. Mais ce qu’ils ont entendu ce jour-là, c’est une fin de non-recevoir.

D’une voix posée, presque administrative, Mahamat Zen Bada, alors secrétaire général du parti au pouvoir, a tranché : « Chacun a sa chance, chacun va seul ». Un silence pesant s’est installé. Certains échangeaient des regards incrédules, d’autres baissaient la tête, comme s’ils venaient de comprendre qu’ils avaient été dupés. L’illusion d’une coalition unie, celle de « Tchad Uni », volait en éclats sous leurs yeux à quelques semaines des élections législatives.

L’histoire de cette désillusion ne date pas d’hier. À l’aube de la présidentielle, ces partis d’opposition avaient choisi de se ranger derrière le MPS, espérant ainsi se faire une place dans l’architecture du pouvoir. Une alliance de circonstances, sans ligne idéologique claire, où l’on pactisait davantage par calcul que par conviction.

Mais une fois la présidentielle passée, le rapport de force s’est inversé. Le MPS n’avait plus besoin de ses alliés d’un temps. Les élections législatives ont marqué la rupture : le parti présidentiel a raflé 124 sièges sur 188, laissant des miettes à ceux qui, hier encore, croyaient peser. Puis sont venues les sénatoriales, qui ont achevé d’enterrer toute ambition d’opposition institutionnelle : sur 46 sièges, seulement trois sont revenus à l’opposition.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le Rassemblement national pour la démocratie au Tchad (RNDT Le Réveil), dirigé par l’ancien Premier ministre Pahimi Padacké Albert, a sauvé deux sièges. L’Union pour le renouveau et la démocratie (URD) de Félix Nialbé en a décroché un. Le reste ? Un monopole absolu du MPS.

Dans ce paysage politique laminé, Pahimi Padacké Albert apparaît comme la figure d’opposition la plus en vue, mais avec 12 députés et 2 sénateurs, peut-il réellement incarner une alternative ? Son passé de Premier ministre, ses relations historiques avec le MPS et son pragmatisme politique font de lui un allié critique, plutôt qu’un opposant farouche.

Si demain, on lui proposait de retrouver la primature, ferait-il attendre sa réponse ?

Autre figure de proue qui avait suscité l’espoir d’une opposition forte : Succès Masra. Longtemps en première ligne face au pouvoir, il avait choisi la confrontation directe. Puis, brusquement, il s’est effacé du jeu électoral, laissant le champ libre au MPS, arguant vouloir dorénavant, « travailler avec le président de la République pour la stabilité et le développement » du Tchad.

Pourquoi ce retrait stratégique ? Certains y voient une tentative de négociation, une attente d’un rôle clé dans le système. Peut-être une nomination au poste de Premier ministre, avancent certains analystes. Mais le pari a échoué. Masra n’a ni obtenu de fonction, ni conservé l’aura d’un opposant inflexible. Un entre-deux qui l’a laissé sans ancrage, ni dans l’opposition, ni dans le pouvoir.

Même Idriss Déby père n’avait jamais connu une opposition aussi exsangue. Autrefois, elle était affaiblie, surveillée, divisée, mais elle existait. Il y avait des débats, des joutes verbales, et des figures historiques à l’instar de Kebzabo, Yorongar ou Alhabbo pour la représenter. Aujourd’hui, le pluralisme est une façade. Les élections ne sont plus qu’une formalité, une mécanique huilée où le MPS ne laisse que quelques strapontins pour sauver les apparences.

Dans ce décor aseptisé, la seule voix discordante vient de la société civile. Éparpillée, encore fragile, elle reste pourtant le dernier espace de contestation réel. Un village d’irréductibles « saos » qui résistent encore et toujours, où l’on refuse de se taire, là où les partis politiques ont définitivement abdiqué.

Aziz Mahamat Saleh, nouveau patron du MPS l’a mentionné avec l’aisance d’un général qui venait d’arriver à bout de rebelles à l’issue d’une campagne militaire intense : « Les anciens partis sont tous rentrés dans la majorité, il n’y a plus d’opposition « . Mais, en réalité, peut-on lui en faire grief ? comme le dit l’adage, nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude.

L’opposition officielle est donc morte. Mais les voix discordantes, elles, n’ont pas totalement disparu. Elles se font discrètes, diffuses, sans véritable structure pour les porter. Plus d’appareil politique capable de canaliser le mécontentement, plus de figures capables d’incarner une alternative claire. Mais sous la surface, quelque chose demeure. Une défiance diffuse, une attente silencieuse. Comme un souffle retenu, en quête d’un nouvel élan.

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