À l’occasion de la Journée mondiale du théâtre, le 27 mars 2025, les projecteurs sont braqués sur le théâtre africain et, en particulier, sur son évolution au Tchad. Si aujourd’hui, les artistes continuent de se battre pour la reconnaissance et le soutien de leur art, l’histoire du théâtre tchadien témoigne d’une tradition de résilience et de créativité.
Le témoignage d’Abdoulaye Tosh, figure du théâtre tchadien, illustre parfaitement cette passion qui a animé et continue d’animer les artistes du pays. Il revient sur une époque charnière : « Nous avons fait du théâtre au lycée Félix Eboué, une discipline, une passion. À la fin de la guerre civile au Tchad en 1980, ma troupe Samaria était la toute première à monter sur scène avec la pièce “Salma ou drame inachevé”. C’était une pièce inédite. Il n’y avait pas d’ouvrages disponibles, je me suis efforcé d’écrire cette pièce, répétition après répétition », se souvient-il.
Dans un contexte difficile, où les moyens faisaient défaut, la solidarité et la persévérance étaient les seuls moteurs des troupes de théâtre. Des lieux comme le restaurant Choix des jeunes de Youssouf Issa à Mardjandaffack, puis Djambal-Barh, devenaient des refuges pour les artistes, leur offrant des repas et du soutien. Loin d’être isolée, la troupe Samaria s’inscrivait dans une dynamique collective où d’autres compagnies, comme celle de Djédanoum Nocky avec Mariam Mayoumbila et feu Djimoudal Djoingar du TBVM (Théâtre vivant Baba Moustapha), prenaient le relais. Puis, un mois plus tard, la troupe Amilcar Cabral, dirigée par l’ex-ministre de la Communication et ministre des Affaires étrangères et des Tchadiens de l’étranger, marquait la scène tchadienne et comptait une cuvée d’artistes dont Youssouf Maina et Sarah Koulamallah. Ils devaient matérialiser le tout premier théâtre radiophonique, « Achta ou le drame d’une jeune fille mère », de l’écrivain tchadien Baba Moustapha, traduite en arabe tchadien par Khayar Deffallah, l’une des figures emblématiques des scènes.

Le 7 juin 1982, Abdoulaye Tosh évoque une rencontre déterminante avec Dr Ali Abderamane Haggar, écrivain engagé et membre de la troupe théâtrale Dabalaye du peuple, créée par N’Guérabaye Adoum Saleh, frère aîné du célèbre chanteur tchadien Ahmed Gazonga, auteur du titre « Jaloux saboteurs ». Il portait sa pièce « Moussa Begoto ou le drame d’un jeune fonctionnaire », un texte inédit qui reflétait déjà les réalités sociales du pays. Avec Jansé Production, cette œuvre a été adaptée au cinéma, mettant en scène le quotidien difficile d’un fonctionnaire dans un décor réaliste à Chagoua FDAR.
Un appel à un renouveau du théâtre tchadien
Le théâtre tchadien n’a jamais été un simple divertissement. Une autre troupe, non des moindres, le Théâtre National Populaire de Bebnoné Palou, qui est le directeur de la Culture, a mis en scène « Mbang Gaourang », œuvre majeure de ce brillant metteur en scène. Le théâtre tchadien a toujours été un miroir de la société, abordant des thématiques sociales profondes. Dr Ali Abderrahmane Haggar, qui a aussi réalisé le court-métrage « Café blanc », illustre cet engagement. Mais comme le raconte Tosh, ce film, monté par Fadoul Ahmat Dalla, ex-directeur de l’ONAMA/Koumra, n’a eu l’autorisation pour une diffusion publique qu’après son avant-première à l’IFT : « Le feu maréchal Idriss Déby Itno avait jugé le film très réaliste et dramatique. À l’époque, les revendications salariales frôlaient l’émeute. Le film était le reflet de la vie de cet enseignant, fonctionnaire donc, qui mourait dans la précarité et l’anonymat. Hassan Keiro incarnait ce fonctionnaire… »
Ce témoignage met en lumière la force du théâtre tchadien : un espace d’expression, parfois réprimé, mais toujours ancré dans la réalité du pays.
Un théâtre qui a survécu aux crises
Aujourd’hui, alors que le président du Conseil régional africain de l’Institut international du Théâtre, Vangdar Dorsouma, appelle les gouvernements africains à investir dans le théâtre, ce regard vers le passé rappelle combien cet art est vital pour la mémoire et l’identité culturelle du Tchad.
Le théâtre tchadien a survécu aux crises, à la censure et au manque de moyens. Il a permis de raconter les histoires des oubliés, de dénoncer les injustices et d’unir les générations. À travers des figures emblématiques comme Bebnoné Palou, Mahamat Nour, ancien directeur de la Maison de la culture Baba Moustapha, Mahamat Djibrine MD, Seid Farah, alors ministre de la Jeunesse, Nguérabaye Adoum Saleh, Zara Yacoub, Aché Koundja de la troupe théâtrale Tihlilé, Ali Abderamane Haggar ou encore Vangdar Dorsouma, fondateur de Mandoe Culture, le théâtre tchadien a résisté au temps. Comme le souligne ce dernier : « Il est temps que nos décideurs inscrivent la promotion et le développement artistique et culturel comme priorité dans leur programme politique. »
Le théâtre tchadien a un passé riche. Malgré cette léthargie incomparable, il continue d’exister. Il a besoin de soutien et mérite un avenir tout aussi grand.