En mettant fin à l’accord de défense signé avec la France, le Tchad tourne une page majeure de ses relations avec son ancien partenaire colonial. Cet accord, révisé en 2019, a structuré une coopération militaire marquée par des décennies d’interventions françaises sur le sol tchadien, faisant de ce pays un pilier stratégique dans la politique militaire de Paris en Afrique. Si cette rupture marque un tournant, elle s’inscrit dans un contexte plus large de repositionnement des alliances militaires de N’Djamena, comme en témoigne le départ récent des forces spéciales américaines et l’ouverture à de nouveaux partenaires comme la Hongrie.
Une longue histoire d’interventions militaires françaises
Le Tchad occupe une place singulière dans la mémoire militaire française. Depuis l’indépendance en 1960, plusieurs accords de défense successifs ont permis à Paris d’intervenir pour stabiliser le régime tchadien face à diverses menaces. Dès 1969, l’opération Limousin a marqué l’une des premières grandes interventions françaises au nord du pays, en soutien aux forces locales contre une insurrection. Ces combats ont scellé le rôle de la France comme garant de la stabilité politique au Tchad, un rôle qui s’est prolongé dans les décennies suivantes.
En 1986, dans un contexte de conflit avec la Libye de Mouammar Kadhafi, la France a lancé l’opération Épervier, déployant des troupes et des avions de chasse pour contrer les ambitions libyennes au nord. Cette opération a été prolongée bien au-delà de la guerre contre la Libye, devenant une mission permanente jusqu’à son intégration dans l’opération Barkhane en 2014. La présence française comprenait des éléments terrestres et aériens basés à Adji Kosseï, une plateforme stratégique utilisée pour des missions régionales au Sahel.
Les interventions militaires françaises au Tchad n’ont pas été sans coût. Avec 153 soldats morts en opérations extérieures (OPEX), le Tchad est l’un des théâtres les plus meurtriers pour l’armée française. Ces pertes témoignent de l’intensité des engagements français dans un pays souvent au bord du chaos.
D’autres opérations, comme Bison en 1978 pour stabiliser la capitale N’Djamena en pleine guerre civile, ou encore Manta en 1983, qui précéda Épervier, ont jalonné cette présence militaire dense. À chaque fois, il s’agissait de soutenir un régime allié, de protéger les ressortissants français et de sécuriser les intérêts stratégiques de Paris dans la région.
Une résiliation qui marque une recomposition des alliances
En 2019, les accords de défense avaient été révisés pour s’adapter aux nouveaux enjeux sécuritaires et moderniser la coopération militaire. Cette révision avait introduit des programmes de formation pour les cadres tchadiens, un soutien logistique renforcé et une assistance au renseignement. Malgré ces efforts, la décision de N’Djamena de mettre fin à cet accord reflète une volonté d’émancipation croissante.
Cette dynamique d’affirmation de souveraineté ne se limite pas à la France. Début 2024, le Tchad a exigé la fin des activités des forces spéciales américaines stationnées sur la base d’Adji Kosseï. Dans une correspondance adressée au département de la défense de l’ambassade américaine, le général Idriss Amine Ahmed, chef d’état-major de l’armée de l’air, a dénoncé des documents insuffisants justifiant leur présence. En réponse, 75 soldats américains se sont retirés, marquant une rupture avec un partenariat militaire jusque-là centré sur la lutte contre le terrorisme.
Parallèlement, le Tchad explore de nouveaux partenariats. En 2023, un accord a été signé avec la Hongrie, prévoyant le déploiement de troupes hongroises sur le territoire tchadien. Bien que ce déploiement ne soit pas encore effectif, il symbolise une volonté de diversifier les alliances militaires, en s’ouvrant à des acteurs européens moins traditionnels. Ce choix illustre une stratégie visant à réduire la dépendance vis-à-vis des puissances historiques comme la France et les États-Unis.
Une recomposition stratégique dans un contexte régional instable
La résiliation de l’accord avec la France et le départ des Américains s’inscrivent dans une tendance plus large de repositionnement géopolitique. Si les troupes françaises restent présentes sur la base aérienne de N’Djamena dans le cadre de Barkhane, leur rôle pourrait être redéfini, à l’instar de celui des partenaires américains qui ont quitté le pays. En diversifiant ses alliances, notamment avec la Hongrie, le Tchad cherche à conserver une certaine flexibilité stratégique tout en affirmant son autonomie.
Cependant, cette stratégie n’est pas sans risques. La présence française, tout comme celle des Américains, a permis de stabiliser une région en proie à des insurrections jihadistes et des conflits transfrontaliers. La question reste de savoir si ces nouveaux partenariats, encore embryonnaires, seront à la hauteur des défis sécuritaires auxquels le Tchad fait face.
En affirmant sa souveraineté, le Tchad redéfinit ses priorités. Mais cette transition vers une nouvelle architecture sécuritaire nécessitera des réformes internes et des choix stratégiques équilibrés pour éviter de créer un vide dans un contexte régional déjà fragile. Le départ des partenaires historiques, combiné à l’arrivée de nouveaux alliés, ouvre une période d’incertitude, mais aussi de possibles opportunités pour ce pays central dans la géopolitique du Sahel.