Il est des voix qu’aucun exil ne parvient à faire taire. Celle de Nimrod est de celles-là. Poète, romancier, essayiste, il est aujourd’hui l’un des plus grands écrivains et poètes tchadiens, et peut-être l’un des plus discrets. Une discrétion qui lui ressemble, lui qui préfère le retrait à l’exposition, le silence au vacarme. Pourtant, sa parole résonne loin, bien au-delà des frontières de son pays natal. Ce 21 mars, à l’occasion de la Journée mondiale de la poésie, il est juste de s’arrêter sur son œuvre, sur ce qu’elle dit du Tchad et de l’homme.
L’écrivain des départs sans retour
Nimrod est né en 1959, à Koyom, dans le sud-ouest du Tchad. Il est de ceux qui ont dû partir tôt, chassé par la guerre civile de 1980. De son propre aveu, il n’est jamais revenu au Tchad, ou en tout cas pas assez. Mais l’absence physique n’a jamais effacé la présence intime. L’exil, chez lui, n’est pas un arrachement mais une manière d’être au monde. « L’incertitude est le destin du Tchad », confie-t-il dans un entretien accordé à Jeune Afrique. Peut-être aussi le sien.
Il poursuit ses études à Abidjan, puis à Paris, où il obtient un doctorat en philosophie. Mais c’est la poésie qui l’a sauvé, dit-il. La langue est pour lui une terre d’accueil, une patrie immatérielle. Ce sont les mots qui lui permettent de traverser la douleur de la perte, de renouer avec la mémoire des siens.
Nimrod écrit lentement, patiemment. Son œuvre est rare, précieuse. Elle se compose de recueils de poèmes, de romans, d’essais. Mais c’est la poésie qui l’a révélé, et sans doute ce qu’il fait de plus beau.
Pierre, poussière (1999) fut son premier recueil, salué par la critique. Il y explore l’exil, la perte, la fragilité de la condition humaine. Puis vint Petite éloge de la lumière nature (2020), un recueil lumineux, presque apaisé, où la nature devient un refuge, un sanctuaire. Ce texte lui vaudra le prestigieux prix Apollinaire, souvent comparé au Goncourt de la poésie. Rare distinction pour un écrivain africain francophone.
Sa langue est sobre, d’une clarté limpide. Nimrod est un poète de l’intime, de la contemplation. Chez lui, le silence pèse autant que les mots. Il parle d’une rivière, d’une clairière, d’un visage disparu, et soudain le monde s’ouvre. Il ne crie pas, il murmure, mais le souffle est puissant.
Dans ses essais, Nimrod interroge le destin de l’Afrique. Dans Tombeau de Léopold Sédar Senghor (2006), il rend hommage au poète président, mais s’éloigne du projet de la Négritude. Lui refuse les assignations. Il est d’ici et d’ailleurs, et cette liberté est revendiquée.
Pour Nimrod, l’exil n’est pas seulement géographique, il est une condition philosophique. Loin de tout pathos, il défend une éthique de la dignité. L’Afrique est une douleur, mais elle est aussi un projet. Il croit au courage du verbe. À la nécessité d’écrire, même lorsque tout semble s’effondrer.
La poésie, cet art discret trop souvent négligé
Au Tchad, la poésie est un art discret. Elle survit dans l’ombre, sans soutien ni véritable reconnaissance institutionnelle. Les poètes tchadiens écrivent souvent dans l’anonymat, sans échos. La société, tournée vers d’autres urgences, semble parfois oublier ces voix qui pourtant disent l’essentiel : l’histoire d’un peuple, la mémoire d’un pays, le chant d’une humanité.
Nimrod, lui, ne se plaint pas. Il écrit, avec l’élégance d’un homme qui ne revendique rien mais qui offre tout. Son œuvre est une invitation à la méditation, un chemin vers la lumière dans un monde souvent obscurci.
En ce 21 mars, il serait juste de rappeler que la poésie est un acte de résistance, une manière de rester debout. Et que le Tchad, malgré le tumulte, est aussi une terre de poètes.