Depuis la nuit du 28 novembre 2024, les bavardages autour de la résiliation de l’accord de coopération en matière de sécurité et de défense avec la France, sur initiative du gouvernement tchadien n’en finit plus de faire couler des salives dans tous les salons N’djaménois de la « haute » autant que dans les discussions des petits cafés de coins de rues des citoyens lambdas. Jamais, sauf cas de péril de la Nation par temps de guerre avec une puissance étrangère, les individus appartenant à ces couches sociales si distinctes – à cause principalement de l’inégalité de la répartition des richesses nationales qui les opposent – n’ont pu trouver même un début de convergence sur quelconque sujet qu’il soit.
Mais, l’exception à la règle, Mahamat Idriss Deby Itno qui vient de décider la rupture de la coopération en matière de sécurité et de defense avec la France, ancienne puissance coloniale et actuelle puissance tutélaire du Tchad, venait peut être de leur donner à tous, un sujet qui pourrait assurément les rallier à un combat commun à mener : « Frannça Barra, Tchad Hourra » (La France dehors, le Tchad libre). C’est à travers un communiqué portant la signature du Chef de la diplomatie tchadienne Abderaman Koulamallah, que la nouvelle de la résiliation de l’accord de coopération militaire avec la France a été rendue publique, tard dans la nuit du jeudi 29 novembre.
Les premiers réflexes furent les mêmes pour les plus avertis : inspecter avec minutie le communiqué du Ministre tchadien des Affaires Étrangères pour s’assurer de la véracité du document et que ce n’était pas un Fake. Puis, d’assimiler les conséquences des termes de ce communiqué et surtout de se rendre à l’évidence, que c’était bel et bien le Tchad qui eu l’outrecuidance de délivrer, par son initiative propre, le baiser d’adieu à la France et de se dégager de l’étreinte de sa figure tutélaire.
Une décision politique inattendue et qui porte à bien des égards les similarités fortes avec une rupture sentimentale brutale, que vient de subir encore une fois Emmanuel Macron dans son idylle africain malmené. Le chef de l’État tchadien Mahamat Idriss Deby Itno vient donc d’engager à ses dépens, une manœuvre politique hautement délicate, brutale et inattendue. Toutefois, des éléments de fonds pourraient donner sens à ce geste audacieux.
Une anticipation stratégique de l’essoufflement des relations de défense
En décidant de résilier l’accord de coopération de défense qui lie la France et le Tchad, le Président Mahamat Idriss Deby Itno a t-il réussi à prendre de court le gouvernement Français avant que ce dernier ne donne lui-même le rythme de la cadence ? Ce ne serait pas une hypothèse inenvisageable.
En effet, le Président Macron a déjà sur sa table, depuis le 25 novembre, un projet de réorganisation des forces françaises en présence au Sahel, en gestation depuis quelques mois. Le fameux « Rapport Bockel », du nom de l’envoyé personnel d’Emmanuel Macron en Afrique, prône un désinvestissement significatif des forces françaises dans plusieurs pays d’Afrique : Côte d’Ivoire, Gabon, Sénégal, mais aussi le Tchad. La France souhaite tirer les conclusions d’une longue série de politiques infructueuses et qui s’est soldée par une exacerbation du sentiment anti-français sur fond de « French-bashing » favorisé par des canaux d’informations pro-russes et une multiplication de coups d’États.
Concernant le Tchad, il serait fort à parier que la France qui cherche aussi à freiner la surenchère de N’djaména à se diriger vers des partenaires que Paris juge moins fréquentables, pourrait utiliser ce levier de désengagement significatif de sa présence d’un millier de personnes sur différentes bases à N’Djaména, pour montrer aux autorités tchadiennes que le jeu du va-et-vient ne fonctionne plus désormais, puisqu’elle compte alléger d’elle-même, sa présence. Et par conséquent, montrer d’elle-même son désintérêt à courtiser le Tchad dans son ambition non dissimulée de repositionnement géopolitique. Qu’à cela ne tienne, N’Djaména a décidé d’agir le premier et vient de creuser un écart important vis-à vis de la France en termes d’anticipation stratégique et en sera probablement le grand bénéficiaire sur les plans diplomatique et politique.
Le revers de trop pour la France
Au-delà de l’analyse stratégique de fonds, cette rupture de l’accord par le Tchad renforce aussi la déchéance de la politique extérieure française qui prend l’eau par tous les côtés. N’Djaména n’a pas été tendre avec Paris puisqu’elle a annoncé la rupture alors même que Jean-Noël Barrot, le Ministre des Affaires étrangères français, se trouvait encore au Tchad et qu’il venait de rencontrer le chef de l’État Mahamat Idriss Deby Itno. En termes de courtoisie, on ne peut faire moins frontal. Pour ne rien arranger à la situation, le Président Sénégalais Diomaye Faye s’est inscrit dans la même dynamique que Mahamat Idriss Deby Itno, portant peut être le coup de grâce à la présence et l’influence française en Afrique. C’est bien là le signe incontestable du déclin de la diplomatie française de Macron qui a perdu toute son aura des temps de Chirac.
Un gain politique important pour Mahamat Idriss Deby Itno
Beaucoup suspectent le Président Mahamat Idriss Deby Itno de se fendre ainsi d’un geste de séduction à visée populiste destiné à redorer son blason auprès de la frange des jeunes africains qui n’ont des yeux que pour les dirigeants de l’AES mais aussi des tchadiens en général qui ont en horreur « La France ». Le pays de Sarkozy qui serait responsable pour eux de tout l’embrasement de l’Afrique après le renversement de Mouhammar Gaddhafi mais aussi à qui l’on prête que sans la France, l’Afrique aurait décollé comme les pays anglophones comme le Rwanda et tant d’autres.
Ce qui est certain, la rupture de l’accord de défense produira pour Mahamat Idriss Deby Itno un gain en termes de capital politique non négligeable au niveau national que sous-régional. Mais il est difficile de le voir se rapprocher des dirigeants tels que Assimi Goïta du Mali, Abderaman Tchiany du Niger ou Ibrahim Traoré du Burkina-Faso : les contacts ont toujours été très superficiels et les styles peu concordants, jusqu’à la philosophie militaire.
En conclusion, dans ce jeu de dupes dans lequel évolue la France et le Tchad, tous deux sous l’impulsion de leurs chefs d’États respectifs semblent vouloir se jouer l’un de l’autre. Le dicton français illustre bien cette situation : Passez-moi la rhubarbe, je vous passerais le séné !