Depuis quelques jours, plusieurs vidéos circulent sur les réseaux sociaux tchadiens. On y voit des hommes accusés d’avoir « volé » le sexe d’autrui être pris à partie par des foules inquiètes. Un phénomène qui, s’il peut prêter à sourire, relève d’un trouble collectif bien connu des psychiatres : le syndrome de Koro.
Il suffit parfois d’un regard, d’une poignée de main ou même, dit-on, d’un appel téléphonique. L’instant d’après, la victime se mettrait à crier, affirmant que son sexe a disparu. En quelques minutes, la foule se rassemble, les accusations fusent, et la violence n’est jamais loin.
Depuis hier, plusieurs quartiers de N’Djamena et de Mongo sont en ébullition, secoués par une rumeur aussi ancienne que tenace : des individus dotés de pouvoirs surnaturels feraient disparaître les organes génitaux masculins. Les réseaux sociaux s’enflamment. On y voit des jeunes hommes, encerclés, bousculés, sauvés in extremis d’un lynchage.
Ce n’est pas la première fois que ce type de panique surgit sur le continent africain. Au Bénin en 2001, au Nigeria en 2017, en Côte d’Ivoire ou en République démocratique du Congo, de nombreuses rumeurs similaires ont déclenché des scènes de chaos. À chaque fois, la mécanique est la même : une victime s’écrie que son sexe a disparu. L’accusation est instantanée, sans preuve. Et la foule, chauffée à blanc, exige justice sur-le-champ.
Un syndrome bien documenté
Le phénomène porte un nom dans la littérature psychiatrique : le syndrome de Koro. Il s’agit d’un trouble de panique d’origine culturelle, dans lequel un individu est persuadé que ses organes génitaux se rétractent ou disparaissent, et qu’il va en mourir. Bien que le trouble touche l’individu, il se propage souvent par vagues collectives, comme une épidémie psychologique.
Documenté depuis des siècles en Chine, en Inde, en Asie du Sud-Est et en Afrique de l’Ouest, le Koro est classé par l’OMS parmi les « syndromes culturels spécifiques ». Il est souvent exacerbé dans des contextes de stress social et de méfiance généralisée. Il n’est pas rare qu’il serve même de prétexte à la violence contre des individus considérés comme marginaux.
Au Tchad, la recrudescence de ces accusations interroge. Si aucune autorité médicale n’a confirmé la réalité des faits, les vidéos témoignent d’un emballement inquiétant. Dans un pays où les tensions sociales sont déjà vives, une rumeur de ce genre peut suffire à déclencher des tragédies.
Plusieurs voix appellent à la prudence et à la désescalade. Car derrière le spectaculaire de la rumeur, c’est la question de l’ignorance, de la peur et de la crédulité collective qui se pose. Et dans une société où l’accès à l’information reste limité, les croyances l’emportent souvent sur la raison.
Apprendre à nommer le mal
Face à la viralité de ces vidéos et aux risques de violence, il est urgent d’ouvrir un espace d’explication. Le syndrome de Koro n’est ni une malédiction, ni une plaisanterie, ni un complot. C’est un trouble psychologique ancien, connu, documenté. Il touche des personnes vulnérables, dans des sociétés traversées, la précarité et la peur de l’invisible.
Il ne s’agit pas d’un phénomène « africain », encore moins « tchadien ». Il s’agit d’une angoisse humaine, universelle, qui prend simplement les couleurs du contexte où elle naît. Et peut-être que tout commence là : par le fait de le nommer. Et de rappeler, simplement : le sexe ne disparaît pas par téléphone.