Sur les rives du Chari, la scène est bien différente de celle que connaissait encore le Tchad il y a quelques mois. Les convois militaires français ont quitté leurs bases, et avec eux s’est clos un chapitre de la coopération sécuritaire qui, pendant des décennies, fut le principal prisme des relations entre Paris et N’Djamena. Mais derrière ce retrait visible, un autre type de présence française s’affirme, plus discrète, recentrée sur le développement, la culture et l’appui social.
Depuis la fermeture officielle des bases militaires françaises début 2025, le soutien de la France au Tchad a pris un visage différent. La logique de « coopération de proximité », souvent vantée dans les discours officiels, se matérialise désormais dans des initiatives ciblées, appuyées par l’Agence française de développement (AFD), mais aussi via des contributions à des programmes mis en œuvre par des agences onusiennes ou d’autres organisations internationales.
Dernier exemple en date : le programme PLIM2, lancé en mars 2025. Doté d’un financement de 12,2 millions d’euros, ce programme vise à renforcer les infrastructures de la ville pour mieux résister aux aléas climatiques, notamment les inondations récurrentes. Ce projet illustre l’engagement de la France à soutenir des initiatives structurantes, répondant aux défis environnementaux et urbains du Tchad. Un engagement prolongé, mais désormais dépouillé des attributs traditionnels de la coopération militaire.
Cette réorientation s’observe également sur le terrain social. Dans plusieurs régions du pays, un programme d’autonomisation sociale des femmes a permis à quelque 30 000 Tchadiennes d’accéder à des services de santé essentiels et de bénéficier de dispositifs de soutien dans la lutte contre les violences basées sur le genre. L’initiative est là encore soutenue par la France, à travers l’AFD, et s’inscrit dans une dynamique qui privilégie l’amélioration des conditions de vie, au détriment d’une logique d’assistance ponctuelle.
D’autres actions, moins « glamour » mais non moins significatives, sont mises en avant dans cette nouvelle phase de coopération. La fabrication de sacs autocuiseurs, cofinancée par la France et mise en œuvre par le Programme alimentaire mondial (PAM), a permis la diffusion de plus de 4 000 unités dans les cantines scolaires du pays. Le projet, qui favorise une réduction de la consommation de bois et de gaz, s’inscrit dans une logique de développement durable et de soutien à l’économie circulaire.
À N’Djamena, un bâtiment entièrement rénové grâce à un financement français accueille désormais la Jeune Initiative Économique du Tchad. Cet hub vise à stimuler l’entrepreneuriat, en particulier parmi les jeunes porteurs de projets, et à structurer un écosystème favorable à l’innovation. L’investissement reste conséquent – environ 500 millions de francs CFA – Et il témoigne d’une stratégie d’ancrage durable sur des secteurs ciblés.
Une coopération discrète face à la concurrence des nouveaux partenaires
Cette approche tranche avec celle d’autres partenaires dont les investissements dans des infrastructures plus visibles – stades, routes, bâtiments publics – sont souvent plus spectaculaires. La Chine, la Turquie ou encore les Émirats arabes unis multiplient les chantiers d’envergure et les dons en espèces sonnantes et trébuchantes, imposant une concurrence accrue à la présence européenne traditionnelle.
Pour autant, certains observateurs soulignent que la coopération française, plus discrète dans sa forme, agit sur des leviers essentiels du développement à long terme : santé publique, éducation, formation, appui à l’économie locale. « Les stades et les drones impressionnent, mais ne répondent pas toujours aux besoins sociaux de base », confie un analyste économique à N’Djamena.
Certains y voient une opportunité pour refonder une coopération franco-tchadienne sur des bases plus équilibrées, après des décennies d’un partenariat largement polarisé par la question sécuritaire. Ce repositionnement correspond aussi à une tendance plus large observée en Afrique francophone, où plusieurs anciennes puissances coloniales sont amenées à repenser leur rôle et leurs modes d’intervention.
Reste à savoir si ce virage imposé, mais assumé, portera ses fruits dans un pays où les attentes en matière de développement sont immenses, et où la compétition des modèles et des influences reste ouverte.