Depuis quelques semaines, la toile tchadienne est secouée par une recrudescence de fausses informations. Entre manque de sensibilisation et déficit d’éducation aux médias, les fake news prennent de l’ampleur, avec parfois des conséquences graves. L’Éducation aux Médias et à l’Information (EMI) apparaît dès lors comme un outil clé pour promouvoir une consommation critique, éthique et responsable de l’information. Dans cette interview, Achta Bladé, experte en EMI et Présidente de l’Association « Les Médias et Nous » souligne le rôle fondamental de l’EMI dans la construction d’une société mieux informée et plus résiliente face à la désinformation.
Pouvez-vous vous présenter et nous dire ce qu’est l’Éducation aux Médias et à l’Information (EMI) ?
Je m’appelle Achta Bladé, journaliste spécialisée en Éducation aux Médias et à l’Information (EMI). J’ai travaillé comme journaliste reporter et responsable au sein d’une agence de communication. Je suis consultante en EMI et j’ai collaboré il y a quelque temps avec d’autres spécialistes de la communication sur un projet financé par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) visant la formation des journalistes et pédagogues tchadiens sur la question de l’EMI. Je suis, par ailleurs, la présidente de l’Association « Les Médias et Nous », où je partage cette passion avec une communauté virtuelle et sensibilise sur cette problématique sur les réseaux sociaux.
L’Éducation aux Médias et à l’Information, en termes simples, est une discipline qui vise à encourager une pratique citoyenne des médias. Cela signifie être capable d’analyser de manière critique et distanciée les contenus médiatiques, de s’informer correctement, de s’exprimer librement et de produire soi-même de l’information de manière responsable et réfléchie. L’EMI s’adresse aussi bien aux professionnels des médias qu’aux citoyen-consommateurs d’information.
Pourquoi avez-vous choisi de vous spécialiser dans l’EMI ?
Parce qu’un journaliste est aussi un éducateur. Très tôt, dans ma formation, j’ai appris qu’à la radio ou à la télévision, on informe, on éduque, et on peut se permettre certaines expressions à visée pédagogique. Mais le véritable déclic est venu après un événement tragique : une violation grave de la vie privée d’une de nos collègues, avec la publication de contenus compromettants. Cet incident m’a profondément marquée.
Ensuite, ce choix s’est renforcé face à la prolifération de la désinformation, de la manipulation et de l’usage abusif des réseaux sociaux, tant par ceux qui produisent que ceux qui consomment l’information. Passionnée également par le numérique, j’ai vu dans l’EMI une belle opportunité de réunir journalisme, éducation et technologie pour promouvoir une information saine.
Quel est l’enjeu de l’EMI dans un pays comme le Tchad ?
L’EMI est un outil essentiel pour lutter contre les fake news et leurs conséquences : discours de haine, discriminations ethniques, propos diffamatoires… Ces contenus prolifèrent aujourd’hui sur les plateformes numériques. Il est important de préciser que ce n’est pas le numérique en soi qui crée les fake news, mais sa viralité qui amplifie leur diffusion.
Dans un contexte comme celui du Tchad, l’EMI peut jouer un rôle réparateur, en contribuant à assainir l’espace informationnel. Pour une gouvernance apaisée, il est nécessaire d’avoir une société informée, critique et responsable. Cela suppose que les producteurs et les consommateurs de contenu soient éduqués. L’EMI permet de former des « cybercitoyens » actifs, éclairés et autonomes, capables de faire un usage réfléchi des médias.
Vous avez parlé des fake news. Comment vérifier si une information est vraie ou fausse ?
Une fake news, ou infox, est une fausse information créée dans le but de tromper, de manipuler l’opinion publique ou de nuire à une personne ou un groupe. Avec le développement de l’intelligence artificielle (IA), on voit également apparaître les deepfakes, ces montages audio ou vidéo qui permettent de faire dire ou faire faire n’importe quoi à n’importe qui, à partir d’une image et d’une voix.
C’est pourquoi il est crucial de protéger son identité numérique. Pour démêler le vrai du faux, il faut d’abord s’interroger sur la source : est-elle crédible ? Est-ce un média reconnu ou une personne habilitée à fournir ce type d’information ? Ensuite, il convient d’évaluer l’objectif de l’auteur de la publication. Le réflexe à adopter est de faire preuve d’esprit critique et d’analyse avant de partager toute information.
Quels conseils donneriez-vous aux utilisateurs des médias sociaux ?
Les médias sociaux sont des espaces d’expression, de divertissement, de recherche et de partage. Ils permettent aussi de mettre en valeur ses talents et son identité culturelle. Mais trop souvent, ils sont mal utilisés.
Ce que je recommande, c’est de faire un usage créatif et responsable des médias : exprimez vos idées, partagez vos opinions, mais dans le respect des autres. Évitez la diffusion de données personnelles, de propos diffamatoires, ou de contenus intimes pouvant nuire à votre réputation ou à vos opportunités, notamment professionnelles.
Notre société a besoin de citoyens responsables pour se développer dans la paix et la dignité.