Il y a dix ans, le 12 mai 2015, s’éteignait à Saint-Cloud, en France, un homme dont la disparition a laissé le Tchad orphelin d’une certaine idée du pouvoir : celle du devoir sans ostentation, du service sans calcul. Mahamat Ali Abdallah Nassour n’avait que 55 ans. Pourtant, il avait déjà traversé tous les étages de l’État, tous les registres du commandement militaire, diplomatique, politique.
« Maquisard téméraire, compagnon fidèle, militant engagé, politique redouté, démocrate convaincu, officier respecté, père, époux ou frère attentionné, homme généreux, patriote incontesté, le Général Mahamat Ali Abdallah fut tout cela à la fois. » Ces mots, prononcés par Abdoulaye Sabre Fadoul lors de son oraison funèbre à la Place de la Nation, n’étaient pas une hyperbole d’usage : ils étaient la juste mesure d’une vie dense, plurielle, et sans faux-semblants. Car Mahamat Ali Abdallah fut de ces hommes rares dont la biographie épouse toutes les dimensions de l’engagement : le feu de l’idéal révolutionnaire, la rigueur des responsabilités d’État, la fidélité dans l’ombre et cette générosité discrète, presque clandestine, qui n’a été découverte qu’après sa mort
Né en 1960 à Kouba, à quelques encablures d’Iriba, dans l’aride Wadi Fira, il est de cette génération forgée dans les convulsions de l’histoire nationale. Très tôt, son parcours épouse celui de l’État tchadien en reconstruction. Officier supérieur, diplômé de l’École de guerre de Paris, juriste de formation, homme politique, il incarnait la synthèse rare entre l’intellectuel formé dans les meilleures écoles et le soldat aguerrie par l’épreuve du feu. Il avait cette maîtrise du pouvoir qui ne s’imposait jamais avec fracas.
Homme de dossiers, mais surtout homme de terrain, Mahamat Ali Abdallah a occupé les fonctions les plus sensibles de la République : chef d’état-major général des armées, ministre de la Défense, de l’Intérieur, de l’Énergie, de l’Élevage, des Mines, ambassadeur en Europe et dans le monde arabe, conseiller spécial à la Présidence… À chaque étape, il laissait la trace d’un homme d’action, mais aussi celle d’un diplomate discret, qui croyait aux vertus de l’écoute, de la modération, et de la construction patiente.
Le 2 février 2008, quand N’Djamena vacille sous les tirs d’une colonne rebelle, son nom est plus que jamais associé à ceux qui n’ont pas flanchés en ces moments incertains. Son sang-froid, son commandement lucide, son refus de céder à la panique donnent au pouvoir en place un souffle inespéré. Il fallait alors un roc ; il fut ce roc. Ce jour-là, disent les officiers survivants, « le Tchad a tenu par lui ». Ce jour-là, son nom s’inscrit, parmi d’autres, en lettres d’or dans les annales des forces armées.
Mais c’est peut-être dans le silence, loin des tribunes, que Mahamat Ali Abdallah Nassour a le plus marqué. Ses portes, dit-on, étaient ouvertes à tous. Des femmes venues solliciter un appui médical, des jeunes désorientés cherchant une bourse, des anonymes recommandés par personne… il les recevait, les écoutait, les aidait. Sans bruit. Ce n’est qu’à sa mort, racontent ses proches, que l’ampleur de sa générosité a été mesurée. Parrainages, interventions, aides discrètes : l’homme semblait avoir fait de la bienveillance une vocation parallèle.
Le Tchad ne s’y est pas trompé. Deux jours de deuil national furent décrétés. Le maréchal Idriss Deby Itno, alors en visite à Paris, écourta son séjour pour rentrer assister aux obsèques. À la Place de la Nation, devant les forces alignées et la foule rassemblée, le défunt fut élevé à titre posthume à la dignité de Grand-Croix de l’Ordre national du Tchad.
Depuis, une avenue à Sabangali porte son nom. Et chaque 12 mai, dans les cercles militaires, les bureaux feutrés, les vieux quartiers de la capitale, on évoque son souvenir non pas avec solennité, mais avec tendresse. Car Mahamat Ali Abdallah Nassour n’était pas seulement un homme d’État. Il était, pour beaucoup, un repère. Un homme sans clan, dont la fidélité n’allait qu’à l’État, et à cette idée exigeante de la République.