Depuis plusieurs jours, N’Djamena et d’autres villes du Tchad sont secouées par un phénomène aussi inquiétant qu’incompréhensible. Des cas présumés de disparition d’organes génitaux, liés au syndrome de Koro, suscitent peur, suspicion… et violences.
Les « victimes » affirment avoir perdu leur sexe après un simple contact physique, souvent une poignée de main. Très vite, la foule se forme, les accusations fusent, et la situation dégénère. Loin de chercher à comprendre, l’assistance se mue en tribunal populaire, parfois d’une brutalité insoutenable.
Dans plusieurs cas devenus viraux sur les réseaux sociaux, les présumés auteurs sont soumis à des violences physiques d’une rare cruauté. Et ce, malgré l’appel au calme lancé par la Police nationale. Dans un communiqué signé par son porte-parole, Paul Manga, elle rappelle que la justice populaire est interdite par la loi et prévient que ces actes compromettent la paix et la sécurité.
Mais sur le terrain, l’émotion l’emporte sur la raison. Dans une vidéo largement partagée, deux jeunes femmes sont accusées d’avoir « volé la partie intime » d’un homme. Interrogée dans le tumulte d’une foule surexcitée, l’une d’elles peine à se faire entendre. L’autre, tenue à l’écart mais encerclée, reçoit un coup de bâton au front. La scène est filmée. Le choc est réel.
Dans une autre vidéo, un jeune homme, visage en sang, vêtements déchirés, subit un lynchage en pleine rue. Les forces de l’ordre interviennent in extremis pour le secourir. Aucun élément ne permet pourtant d’affirmer sa culpabilité si ce n’est la parole de celui qui dit avoir « perdu son sexe ». Là encore, aucune preuve, aucune enquête, simplement une accusation suivie d’une vindicte immédiate.
Ce climat d’hystérie collective donne lieu à une dérive dangereuse : une justice parallèle, expéditive, où l’accusé n’a ni voix ni défense. Les coups, les humiliations, les injures prennent le pas sur la loi. Qui sont ces individus qui se donnent le droit de juger, frapper, condamner sans preuve ? Et si le véritable auteur était ailleurs ? Qui réparera l’honneur et les blessures des innocents ?
Une chose est sûre, si les Tchadiens continuent à privilégier la justice populaire à celle des institutions, le pays risque de glisser vers le chaos. L’histoire d’autres pays africains le démontre : ces dérives ont souvent fait des victimes innocentes, accusées à tort, parfois lynchées à mort pour de simples soupçons.
Les autorités tchadiennes doivent aujourd’hui prendre la mesure du danger. Il est urgent de renforcer la justice, d’éduquer à la présomption d’innocence et de rappeler fermement que seule la loi est garante de l’ordre, de la paix et de la dignité humaine.