La récente attaque de Boko Haram sur le sol tchadien a suscité une réponse aussi inattendue que symbolique : Mahamat Idriss Déby Itno, président du Tchad, s’est déplacé sur le front pour lancer lui-même « l’opération Haskanite » et soutenir les troupes dans cette lutte incessante face à l’hydre terroriste. Un geste rare pour un chef d’État, qui n’est pas sans rappeler une longue tradition de dirigeants tchadiens proches de leurs hommes dans les moments critiques. Pour beaucoup, cette présence incarne une solidarité authentique, mais elle amène aussi à s’interroger : cet engagement direct est-il une force pour le Tchad, ou une prise de risque calculée ?
Un acte de proximité et de solidarité
Pour les soldats et pour une large partie de la population tchadienne, voir le président au front résonne d’une manière particulière. En se tenant aux côtés des militaires, Mahamat Idriss Déby exprime un lien fort avec ceux qui protègent le pays au quotidien. Au Tchad, où les valeurs de bravoure et de loyauté sont particulièrement appréciées, cette présence est perçue comme un rappel que le président n’a pas renoncé à ses racines militaires. En somme, il continue de se définir, en premier lieu, comme un soldat – un rôle qu’il embrasse malgré ses responsabilités politiques.
Mais ce geste va au-delà de la simple solidarité : il permet de réaffirmer une posture de leadership qui parle à un peuple habitué à des dirigeants capables de faire face aux situations les plus tendues. En se rendant sur le front, le président rappelle que la figure du chef tchadien n’est pas seulement celle d’un homme de pouvoir, mais celle d’un leader qui connaît et comprend les réalités de la guerre.
Entre héritage et stratégie
Ce geste peut aussi être interprété comme une continuité avec l’héritage de son père, le feu maréchal du Tchad Idriss Déby Itno, dont la « colère de Bohoma » est encore vivace dans tous les esprits. Cependant, Mahamat Idriss Déby semble apporter à cette approche un style plus personnel. Si son père apparaissait sur le terrain comme un père venu veiller sur ses enfants, Mahamat Idriss Déby, lui, se tient aux côtés de ses soldats en compagnon d’armes, en frère partageant leur combat. Dans une région en proie aux instabilités et aux menaces terroristes, cette démarche est aussi un moyen de renforcer la cohésion entre le pouvoir et les forces armées, crucial pour une paix durable.
Ce déploiement physique sur le terrain peut aussi avoir une dimension stratégique. Dans une région où les alliances et les équilibres sont fragiles, montrer un président engagé sur le terrain envoie un message de fermeté à la fois aux partenaires et aux adversaires. Pour les ennemis du Tchad, cela suggère une nation où l’autorité et la défense de la souveraineté restent une priorité, tandis que pour les alliés, c’est une preuve de l’engagement totale du Tchad dans la lutte contre les groupes armés terroristes.
Le risque d’une personnalisation de la lutte
Malgré les avantages évidents de ce geste, il n’est pas exempt de risques. En se positionnant sur le front, le président attire toute l’attention sur lui-même, et il s’expose à la critique : que dit ce geste de la capacité de l’armée tchadienne à répondre de manière autonome aux attaques terroristes ? La présence d’un chef d’État en première ligne peut donner l’impression que le commandement militaire dépend de sa personne, et cela pourrait soulever des interrogations sur la pérennité des institutions dans un pays qui aspire à stabiliser ses structures de défense.
De plus, dans un contexte où le pays de Toumai cherche à renforcer ses institutions démocratiques, cette posture de président-soldat doit éviter de se transformer en une dépendance du pouvoir à une figure unique. Si cet acte symbolique peut renforcer l’autorité présidentielle à court terme, il est essentiel que la stabilité nationale repose aussi sur des institutions militaires et civiles capables de fonctionner de manière autonome.
Un signal à double tranchant
En se rendant sur le front, Mahamat Idriss Déby Itno montre un engagement personnel qui, s’il est apprécié et respecté au Tchad, est également un signal fort à la communauté internationale. En rappelant son attachement à ses racines militaires, le président souligne que la sécurité du Tchad n’est pas une mission déléguée. Cependant, ce choix est à double tranchant, car il souligne aussi que le pays, malgré ses avancées, reste dépendant d’une figure forte pour assurer sa stabilité.
En fin de compte, cette présence présidentielle sur le front est autant une démonstration de solidarité qu’un acte de leadership dans un moment de crise. Elle montre un dirigeant qui, bien que président, choisit de rester au plus près de ses hommes et de partager leurs défis.
Pour les Tchadiens, c’est un symbole de résilience et de détermination. Pour Mahamat Idriss Déby Itno, c’est peut-être aussi une manière de rappeler que, au-delà de sa fonction politique, il demeure un soldat, fidèle à sa mission de défendre le Tchad.