Il est l’un des premiers médecins du Tchad, mais aussi un opposant au premier président Ngarta Tombalbaye. Dr Outel Bono entreprend créer un parti politique dans un régime de parti unique. Cette prouesse a valu son assassinat, le 26 août 1973 à Paris. Mais qui est Dr Outel Bono ? 50 ans après son assassinat, Le NDjam Post vous retrace le parcours de ce grand homme.
Né en 1934 à Fort-Archambault, actuelle ville de Sarh, Outel Bono, après avoir obtenu son certificat d’études primaires à Fort-Lamy, actuel N’Djamena, est parti en France pour poursuivre ses études secondaires. Au regard de ses résultats scolaires remarquables, en 1946, un télégramme en provenance de la France demande l’acheminement de Outel Bono et de Louis Vertu pour la métropole. Il entre donc en 6ème à Bordeaux, puis poursuit ses études à Périgueux et Cahors. En 1953, à la faculté mixte de médecine et de pharmacie de Toulouse, il fini son parcours avec un doctorat en 1960, major de sa promotion.
Issu d’un milieu modeste, Outel Bono commence à s’intéresser à la politique lors de ses années universitaires, au contact d’autres étudiants africains militant au sein de la très anticolonialiste Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France (FEANF). Il fonde un journal d’opposition baptisé L’Etudiant tchadien et parcourt la Chine où il avait aussi une admiration lucide pour Mao Tsé-toung qu’il a rencontré au cours d’un véritable pèlerinage en Chine avec la F.E.A.N.F. En 1957, le natif de Fort-Archambault décide de passer ses vacances au bercail mais surtout avec un projet : celui d’alerter le peuple dont l’avenir se joue précisément à cette époque. Car la loi Gaston Defferre venait d’être votée.
Dr Outel Bono, l’opposant
Dans les années 1960, le Tchad à l’instar des autres pays de la communauté française accède à l’indépendance. François Tombalbaye dirige le pays d’une main de fer. Finies les études en France, le désormais Dr Outel Bono, le jeune médecin décide de rentrer au Tchad en juillet 1962, malgré la désapprobation de certains de ses compatriotes restés en France et ce, au regard de la radicalisation du régime.

Il prendra part avec d’autres jeunes cadres, notamment Jacques Baroum, Abdoulaye Lamana, Georges Diguimbaye, Adoum Maurice Hel-Bongo au congrès de l’unité à Fort Archambault, du 15 au 20 janvier 1963. Congrès dont les conclusions porteront les germes de profondes divergences. L’année 1963 sera pleine de rebondissements pour le Tchad.
En mars 1963, Outel Bono est poursuivi pour « complot contre la sûreté de l’Etat », avec une vingtaine d’autres personnalités politiques, dont Abbo Nassour, ministre chargé de la Fonction publique et Ali Kosso, ministre de la Justice. Les preuves accumulées sont largement fantaisistes, le but du procès étant surtout de mettre au pas l’opposition sur fond de durcissement du régime. Tombalbaye, qui a dissout tous les partis d’opposition un an plus tôt, veut lancer à travers le procès un avertissement à tous les opposants. Outel Bono est condamné à mort. Sa femme Nadine Dauch, militante au sein du Parti communiste français (PCF), se mobilise pour la libération de son mari. La campagne internationale qu’elle met sur pied aboutit finalement à la libération du médecin, en août 1965. Cet épisode contribue à accroître la popularité d’Outel Bono parmi la frange la plus éduquée de la population.
Entre 1965 et 1969, il exerce son activité de médecin, d’abord à Abéché puis à Fort-Lamy. En le nommant directeur de la santé publique, François Tombalbaye cherchait vraisemblablement à acheter le silence de l’opposant. Au lieu de ça, Bono continue de militer. Il jette les bases d’un programme politique : rejet des structures économiques et administratives héritées de l’époque coloniale, réforme de la politique cotonnière, formation de cadres tchadiens, indépendance de la presse, liberté d’association, etc.
En 1963, il participe à différentes conférences au Centre Culturel Tchadien. Dans une ambiance survoltée, les orateurs successifs dénoncent les travers du régime. L’orateur Outel Bono se concentre sur les conditions de travail des paysans au Tchad et l’absence de libertés politiques et déclare : « Chaque année on nous apprend que la production du coton augmente. Il serait plutôt intéressant de savoir, si dans le même temps, le niveau de vie du paysan tchadien connait cette hausse … ». Le lendemain de la conférence, les principaux participants sont cueillis à leur domicile par la police et envoyés en prison. Bono est condamné en juin à cinq ans d’emprisonnement pour « diffamation, propos excitant à la sédition, atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat », mais il est gracié deux mois plus tard.

En juillet 1972, Outel Bono décide de s’exiler en France et veut lancer depuis Paris un nouveau parti d’opposition, le Mouvement Démocratique de Rénovation Tchadienne (MDRT), conçu comme une sorte de troisième voie entre le parti unique au pouvoir et le Frolinat. Son programme doit être dévoilé au cours d’une conférence de presse.
Manifeste du MDRT de Outel Bono : « la dignité des hommes commence après la satisfaction des besoins élémentaires dans l’effort pour atteindre le plein épanouissant de l’être (c’est-à-dire dans l’accomplissement de son véritable devoir de citoyen et le respect de la dignité individuelle et collective et d’inviter les Tchadiens à rejoindre le M.D.R.T), pour imposer le changement radical qu’exigent les intérêts du pays. »
La conférence de presse, qui prévoit notamment une vaste réforme administrative, le rétablissement de la liberté d’opinion et d’association ainsi que le rejet de la tutelle française, qui devait se tenir le 27 août 1973 n’aura jamais lieu. Le 26 au matin, Outel Bono est tué de deux balles dans la tête, alors qu’il montait dans sa voiture garée à la rue de la Roquette, à deux pas de la place de la Bastille. Le crime n’a jamais été élucidé, mais les partisans de Bono ont toujours pointé la responsabilité du gouvernement tchadien.
Tombalbaye pointé du doigt
Alors qu’il était encore journaliste, Saleh Kebzabo, le premier ministre actuel, dans l’édition du 15 septembre 1973 de Jeune Afrique, publie un article intitulé « Le Dr Bono ne gênera plus. » Il s’ouvre, de manière fracassante, par des propos attribués à François Tombalbaye, président de la République tchadienne, qui datent de 1972 : « Le jour où le Dr Outel Bono s’engagera à lutter contre mon régime dans une organisation déclarée, je n’hésiterai pas à le faire fusiller… »

De même, Ali Nana Dagal, dans son Essai intitulé « Tchad : politique et implication de l’opposant Dr Outel Bono », parue aux éditions Edilivre en 2017, a déclaré « la période qui s’étend de 1960 à 1975 est marquée par une instabilité politique et la disparition des opposants comme Dr Outel Bono, jugé encombrant par le régime de Fort-Lamy ».
Mais, bien que Tombalbaye ait, par le passé, menacé Outel Bono de mort, le président tchadien nie toute responsabilité dans les jours qui suivent l’assassinat. Il déclare lors du congrès du MNRCS (Mouvement national pour la rénovation culturelle et sociale) : « Nous ne sommes pour rien dans cet assassinat affreux et sauvage que nous condamnons. » Au fil des mois, il impute la responsabilité à différents acteurs : le Frolinat, qui aurait pris ombrage de ce projet de nouveau parti politique, puis d’autres Tchadiens, amis politiques de Bono comme Georges Diguimbaye et Mahamat Outhman.
En janvier 2011, Caman Bédaou Oumar a reçu des mains du président de la République du Tchad de l’époque Idriss Déby Itno, un témoignage en l’honneur de Dr Outel Bono, composé d’un trophée du Cinquantenaire et d’une attestation le citant parmi les 50 nominés ayant rendu des services mémorables à la Nation tchadienne.