13 avril 2006 : un blitzkrieg tchadien

Ph AFP

N’Djamena ne s’est pas levée ce matin-là. Elle s’est recroquevillée dans le silence, le souffle suspendu, aux premières notes sèches des rafales. Avant l’aurore, des hommes armés entraient dans la ville, portés par la rumeur d’une attaque que personne n’attendait vraiment.

Ce 13 avril 2006, pour la première fois depuis la guerre civile de 1979, une bataille d’envergure se déroule dans la capitale tchadienne. Les plus âgés se souviennent des colonnes rivales qui avaient transformé la ville en champ de ruines. Les plus jeunes, eux, découvrent ce que signifie la guerre quand elle ne vient plus du lointain Darfour ni des confins du Wadi Fira, ou des combats avaient déjà eu lieu quelques jours plus tôt , mais du silence feutré de Diguel, en périphérie est de la capitale

C’est là que le feu s’est déclaré. Les premières salves, brèves, éclatèrent dans les rues sablonneuses encore vides, comme un prélude brut à la stupeur du jour. C’était une colonne rebelle, presque surgie de nulle part ,un convoi hétéroclite de pick-up, d’hommes enturbannés, de fusils d’assaut, d’ambitions mal ajustées. Le Front uni pour le changement démocratique (FUC) lançait son offensive. À sa tête, un nom inconnu ou presque : Mahamat Nour Abdelkerim.

Ils entrèrent par Diguel, non par calcul stratégique, mais parce que c’était là que la route les menait. Une des portes naturelles de N’Djamena, lorsqu’on vient de l’Est. Ce n’était pas un choix, c’était la ligne droite de leur destin. Mais le reste se fit dans la confusion. Les combats, d’abord localisés, s’étendirent peu à peu vers le centre-ville, gagnant les abords du Grand Marché, bousculant les certitudes et les habitudes d’une ville peu habituée à voir ses propres artères devenir des lignes de front. Partout, les civils restèrent cloîtrés, incrédules. N’Djamena n’était plus capitale : elle était champ de bataille.

Mais ce qui devait être une démonstration de force tourna court. En moins de vingt-quatre heures, tout fut joué. L’assaut avait les allures d’un rézzou, ces attaques éclair chère aux tchadiens, rapides, brutales, éphémères — avec ce que cela suppose d’avantages et d’illusions. L’effet de surprise, d’abord, fut réel. Mais l’impréparation stratégique apparut tout aussi vite. Convaincus de frapper au cœur du pouvoir, les rebelles se ruèrent sur le Palais du 15 janvier, persuadés d’y trouver la présidence. Ils ne comprenaient pas la ville qu’ils venaient attaquer. Le symbole remplaçait la connaissance.

En face, l’Etat n’a pas flanché. L’ANT a répliqué avec la dureté d’un pouvoir acculé mais organisé. Les blindés ont jailli, les mitrailleuses ont parlé. En quelques heures, la colonne s’est disloquée. La tentative fut vaine. Mais l’ombre qu’elle projeta, elle, demeure.

Car ce jour-là, un homme fit irruption dans la conscience nationale. Mahamat Nour Abdelkerim, jusque-là figure obscure des maquis soudanais, devint un nom. Il avait échoué à prendre la ville, mais il avait réussi à se faire une place dans les conversations, dans les notes diplomatiques et dans les archives du pouvoir. On se souvenait moins de la défaite que de l’audace.

Il est des noms qui naissent dans le bruit. Le sien surgit de cette journée brève, tendue, irréelle. L’homme poursuivra une trajectoire faite de ruptures et de retours. Peu après l’attaque, le Maréchal Idriss Déby Itno l’intègre dans le jeu politique et le nomme ministre de la Défense. La tentative de réconciliation tourne court. En décembre 2007, au lendemain de nouveaux affrontements entre ses hommes et l’armée dans l’Est, il est limogé. Il trouve refuge à l’ambassade de Libye, avant de partir en exil à Dubaï.

En 2014, après des négociations discrètes avec le pouvoir, il rentre au pays. Déby le nomme conseiller à la présidence en 2019, puis le réhabilite dans l’armée l’année suivante. Enfin, en avril 2021, au lendemain de la mort du maréchal, Mahamat Nour est désigné parmi les quinze membres du Conseil militaire de transition (CMT) dirigé par Mahamat Idriss Déby.

Ainsi va le destin au Tchad : les armes forgent les noms, la politique recycle les vaincus. Le raid du 13 avril n’a pas renversé le pouvoir . Il a produit un acteur. Et dans un pays où les lignes entre rébellion et pouvoir sont poreuses, c’est parfois la seule victoire qui compte.

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